19/05/2023

Chère Madame Morano,

J'ai lu avec grand intérêt votre dernier article sur l'immigration, suite à votre visite au Danemark.

En espérant que ces quelques remarques vous parviennent, je suis convaincu qu'elles constituent des petites pierres à la construction d'une vraie réflexion sur le phénomène qui ne cesse de s'amplifier, avec les dérives intellectuelles qui condamnent à terme l'Europe à la perte de ses valeurs fondamentales, au profit des "vérités" temporaires et changeantes, notamment du "déconstructivisme". La guerre en Ukraine démontre combien le sentiment national, tout comme l'identité nationale, ne sont pas des concepts dépassés à jeter dans les poubelles de l'histoire, comme trop de faiseurs d'opinion tentent d'en faire une doxa.

Moi-même immigré, venant d'une ancienne colonie française, le Viêt Nam, j'ai pour la France l'admiration et la confiance que mérite une culture qui a enfanté de si grands noms à travers le Monde, sans toutefois oublier ce que toute colonisation a causé de drames et de souffrances aux pays colonisés. Pour ma part, ce sont des leçons d'histoire qu'on ne peut pas occulter, sans pour autant en faire des points de blocage ou de sujet de revanche sans fin.

L'intégration et l'assimilation sont des exigences bien françaises. Elles sont légitimes et bien comprises des immigrés d'origine vietnamienne et asiatique. Nous les pratiquons tant bien que mal, selon les niveaux d'éducation originelle ou acquise, mais nous les pratiquons sans rien exiger de plus que d'être acceptés à égalité des citoyens autochtones. Nous sommes devenus Français, sans haine ni volonté de revanche au cœur. Nos mains servent à travailler et non à tendre pour demander l'aumône, ni à égorger par vengeance. Nos enfants suivent nos traces, comme de bons citoyens, et réussissent en général sans aides publiques ni revendications. Notre devise implicite c'est d'égaler les meilleurs pour être respecté, sans chercher à imposer nos particularismes ou le respect de nos croyances, au demeurant restées discrètes.

Nous observons les problèmes récents liés à l'immigration avec étonnement, voire avec inquiétude, nous posant la question à savoir si, étant d'origine immigré, nous n'allons pas être assimilés aux dérives qui accompagnent ce phénomène, que ce soit dans le sens de l'exigence d'une plus grande tolérance et assistance dont nous n'avons jamais bénéficié, ou au contraire, à force de problèmes de toutes sortes, ne nous plongent pas dans le rejet que l'immigration d'origine extra-européenne suscite en général. Pire, nous commençons à être les victimes directes de cette nouvelle immigration qui nous prend à partie, à défaut de pouvoir se défouler sur les Français de souche, soit physiquement, soit plus généralement par une hostilité à peine cachée, avec un relent de racisme non assumé, forte de la victimisation médiatique qui en a fait des intouchables.

Alors que cette immigration "nouvelle" concentre sur elle toutes les attentions, et toutes les références, notamment de "boat people", au point d'être considérée comme la seule immigration des temps modernes et passés, nous, les asiatiques, risquons d'être oubliés, marginalisés, car n'étant pas un problème. On oublie bien vite que le vocable "boat people" a été inventé à l'occasion de l'exode par la mer des Vietnamiens fuyant véritablement un régime politique, et non pas une situation économique sur fond de guerres de type tribales.
Les "boat people" vietnamiens comptent parmi eux autant de cadres supérieurs, de médecins, d'ingénieurs, de propriétaires que d'ouvriers ou de paysans, abandonnant tout derrière eux, en quête de liberté et non d'avantages économiques et sociaux. En terme quantitatif, les "boat people" vietnamiens ont payé un lourd tribut officiel de plus de 1.200.000 morts et disparus en mer. Le nombre réel de victimes est cependant beaucoup plus élevé, selon d'autres estimations. Cette tragédie était moins le fait des "fortunes de mer", alors que la distance à parcourir et la région traversée sont réputées particulièrement difficiles et dangereuses. Elle était le fait des pirates qui tuent, qui violent, qui kidnappent pour la prostitution ou l'esclavage. Mais l'esprit qui habite les rescapés se trouve bien dans la déclaration qu'a faite le représentant du premier contingent de "boat people" vietnamiens, en posant pied sur le sol français : "Nous remercions la France de nous offrir son hospitalité. Nous allons travailler dur, pour ne pas être une charge pour elle..."

Peu de voix, sinon aucune, de toute la palette politique, ne s'est levée pour montrer en exemple notre intégration et assimilation, sans doute de peur de tomber dans le piège d'une stigmatisation supposée, en comparaison avec d'autres sources d'immigration extra-européenne, surtout africaine et moyen-orientale.
Il est peut-être temps de surmonter cette peur, sans être "nauséabond", pour donner plus de visibilité à ces Français ou aspirants à la nationalité française d'origine asiatique, qui contribuent en silence à la richesse et au rayonnement national dans le monde.
Ces contributeurs à la renommée de l'excellence française ne sont jamais cités ni proposés à la connaissance publique, à travers les noms de rue, par exemple, au contraire des suggestions récentes du Président de la République, de l'éventuelle obligation des communes françaises à réserver au moins une place ou une rue à un nom africain comme celui du fameux "premier Polytechnicien noir". En plaisantant, je peux dire qu'à ce titre, la France serait recouverte de noms vietnamiens et asiatiques, tant cette prestigieuse école, comme d'autres Grandes Écoles et Universités de l'excellence française, en a produits d'ingénieurs, de chercheurs ou d'inventeurs aux noms à consonance venant de ces contrées lointaines. Il y a, notamment, en1925, la toute première femme en France à obtenir le titre d'ingénieur agronome, lauréate de surcroit, de l'Institut Agronomique de Paris, en la personne de la Princesse Như Mai, Comtesse de la Besse, seconde fille du souverain vietnamien Hàm Nghi, condamné par la France à l'exil en Algérie.

Parce que nous réussissons, par notre travail et notre intelligence, au sein de la société d'accueil, que nous ne nous livrons pas à des revendications remarquées par les médias. Nous sommes ainsi les invisibles de la République. Aux politiques de faire le travail, salutaire, de rendre plus audibles ces "silencieux", sans leur demander de descendre dans la rue pour manifester, ou d'occuper les plateaux de télévision, et montrer que intégration et assimilation ne sont pas des exigences qui nécessitent du bruit et de la violence.

Cordialement,

Nguyen-Xuan Hung
Arrivé en France comme étudiant en 1962, naturalisé Français après 1972.