Reportage sur France 5, du 04/02/2024,
Par Emilie Tran Nguyen
L’émission est pour moi plus qu’intéressante, de
nature à montrer enfin une certaine réalité concernant la situation des
asiatiques en France, et par extension, dans le Monde occidental.
J’ai donc fait circuler l’information pour qu’un
maximum d’amis français et vietnamiens puissent avoir une traduction du
phénomène dans un média grand public, afin de briser l’invisibilité de cette
composante dans la société. Hélas, l’émission m’a fortement déçu, et je
regrette presque d’avoir attiré l’attention, et risquer d’introduire une
mauvaise perception du phénomène.
Pour moi, parler de « racisme » envers
les asiatiques, c’est d’abord mettre l’accent sur leur absence médiatique, en
bien ou en mal, comme s’ils n’existaient pas, alors qu’ils constituent une
force importante aussi bien intellectuelle qu’économique de la société, malgré
leur « petit » nombre, estimé à moins de 1% de la population, par
exemple, en France, comparé à celui des autres composantes d’origine étrangère (environs
17%).
C’est aussi expliquer ce racisme ordinaire venant
des caractéristiques morphologiques : les asiatiques n’imposent par leur petite
taille et leur fragilité apparente. C’est plus facile de se montrer supérieur et
méprisant quand on est plus « costaux ».
Un exemple de ce type de racisme : ma femme, à
plus de soixante-dix ans, s'est vu « jeter à la figure » par une
conductrice "de souche" dans la trentaine, qui se gare sur la sortie
de notre garage, quand elle est invitée à déplacer sa voiture : "Si
vous n'êtes pas contente, retournez d'où vous venez !". Sans parler du
manque de respect dû à l’âge, cette conductrice, bien charpentée, aurait-elle eu l'impertinence de le dire ainsi à une septuagénaire de souche ou d'une autre
origine étrangère, notamment africaine ou arabe, dont la corpulence pourrait
s’imposer d’office ? De plus, imaginons que ma femme, citée dans le répertoire
des célébrités mondiales Who’s who, soit retournée d'où elle vient, la France
n'aurait pas bénéficié de nouvelles molécules issues de ses travaux et qui ont
rendu service à des millions de gens dans le monde.
Le racisme puise aussi ses racines dans le regard que portent les
politiques. On parle alors de racisme systémique, reflet de la mentalité d’un
peuple, lié à sa culture et à son histoire. Un exemple : alors que la
France de l’entre-deux guerres cherchait les moyens de son redressement
national, les politiques de tous bords, même ceux de la gauche
« progressiste et humaniste », se tournent évidemment vers ses colonies
asiatiques pour récupérer à bon compte de quoi refaire son économie. Mais au
lieu de concevoir une nouvelle relation basée sur des considérations
gagnant-gagnant, après une gouvernance coloniale caractérisée par des exactions
et des répressions, (révolte de Vinh, massacres de Bến Thủy, de Hòa Bình, siège
sanglant de la citadelle de Khánh Hòa, prisons « cage à tigre » de
Poulo-Condor, etc…), le Ministre des Colonies de l’époque, Edouard Daladier, fit ce discours devant
la Chambre des Députés :
« Si la souveraineté française
disparaissait, ce ne sont pas les sociétés indigènes qui en profiteraient.
Elles retomberaient sous la domination des féodaux asiatiques dont c’est notre
honneur d’avoir détruit la domination. Leur prétendue libération serait une
aggravation de misère et de souffrance. Ce serait une folie et un attentat
contre l’humanité elle-même si nous laissions mettre en péril l’armature du
progrès. »
Comme mépris raciste on n’imagine pas pire
aujourd’hui. Le problème c’est qu’on n’est pas certain que cet état d’esprit
ait disparu tout à fait.
Parler de racisme, il faut aussi parler de
statistiques, par exemple sur le taux de réussites, scolaires et
entrepreneuriales, appliqué à la composante asiatique au sein de la population
nationale. Ces réussites pourraient expliquer le phénomène de jalousie
insidieuse, de même nature que l’antisémitisme, induisant une réaction de rejet
accompagnée d'une hostilité sous-jacente au quotidien, de la part des autres
composantes issues de l’immigration, en plus de la population autochtone de
souche. Dans l’émission de la 5, il y a un témoignage où il est question, avec
un accent d’inquiétude, que le commerce « café-tabac » ont vu la
« mainmise » croissante des asiatiques. Que dire alors des
boulangeries qui passent de plus en plus aux mains des maghrébins ? Deux
réalités qui ne suscitent pas les mêmes craintes.
Il faudrait mettre aussi en évidence la proportion des noms asiatiques (parfois cachés sous un nom français) dans les
métiers d’excellence (Médecin, Ingénieur, Professeur, Chercheur, Historien, Dirigeant
de grandes entreprises, Grand commis de l’Etat, Artiste, Musicien, Peintre,
Sculpteur, etc.), qu’on retrouve notamment dans les annuaires des Grandes
Ecoles à chaque promotion, depuis le début de l’existence de ces établissements
qui font la fierté de la France, proportion à rapporter à celle des diplômés français de souche et des autres Français d’origine étrangère.
Dans cet ordre d’idée, qui connaît la
toute première femme ayant décroché en 1925 le titre d'Ingénieur agronome, et
Lauréate de surcroît, de
l'histoire de l’Institut agronomique de Paris, et aussi de l’histoire de la France ? C’était Như Mai, princesse vietnamienne de la dynastie des Nguyễn, et
comtesse de la Besse en Dordogne. Après son diplôme, elle a utilisé son savoir
et sa fortune pour développer sa région de résidence, en appliquant de
nouvelles méthodes de culture, transformant des terres sauvages en champs cultivables,
pour le De même, rares sont ceux qui connaissent le nom de Trương Trong
Thi, fierté de EFREI, Grande Ecole d’Ingénieurs français, inventeur du Micral,
ancêtre des micro-ordinateurs d’aujourd’hui.
En matière d’art, combien d’entre nous savent que le nom de Diem Phung Thi, pour
les intimes « Chị Cúc », dont les œuvres ont suscité les éloges d’André
Malraux, est composé du nom de son mari Vĩnh Điềm, et de son nom de jeune fille
Phùng thị Cúc ?
À contrario, pour honorer la réussite « exceptionnelle »
du tout premier « Polytechnicien noir » de l’Histoire (!), le
Président Macron a proposé, (heureusement non suivi d’effet), que son nom
figure dans les rues, les places, les squares de chaque ville et village de France !
A ce propos, on peut se demander si cela ne relevait pas d’un autre regard au
second degré ?
Quand il est question de célébrités associées à l’histoire
des pays asiatiques, peu de Français, et certainement encore moins d’Européens,
connaissent le nom d’Alexandre Yersin, le vainqueur de la peste dans le Monde.
Ce scientifique franco-suisse, contemporain de Pasteur et de Calmette, pourtant
écarté de leur équipe, avait choisi alors de passer son existence au Viêtnam,
d’y effectuer ses recherches et ses expérimentations, et enfin d’y finir sa vie
en vietnamien d’adoption, inhumé, selon ses souhaits, dans la ferme où il avait
mis au point son sérum contre le plus grand fléau de l’Humanité, loin de son
pays de naissance et de la France où il n'a pas apparemment eu les mêmes
honneurs que le premier Polytechnicien noir.
Il manque aussi dans cette émission de France 5, un
aperçu sur la proportion des unions mixtes européano-franco-asiatiques, témoignages
indiscutables de la parfaite intégration si chère aux Politiques. La fréquence
de ces unions mixtes montre la propension d’intégration naturelle venant de
l’esprit d’ouverture et surtout de la compatibilité culturelle par rapport au
repli communautaire de beaucoup d’autres composantes extra-européennes. Les
particularités aussi bien de mode de vie que de croyance n'ont jamais été mis
en avant pour marquer les différences. Au contraire. Alors qu’on cherche à
cataloguer les asiatiques en communauté à travers les images comme
« quartier chinois », les actualités ne parlent jamais de quartier
maghrébin, pakistanais, ou africain, etc., qui existe aussi de fait, non
seulement à Paris et sa région, mais aussi à Marseille, Lyon, Toulouse, Nantes,
Lille ou Strasbourg, etc.
Les asiatiques vivent et participent à la
prospérité du pays d'accueil sans jamais mettre en avant une quelconque
revendication, se conformant en silence aux codes sociétaux et aux lois du
pays, tandis que les autres composantes extra-européennes de la société
française et occidentale, anciennes colonies ou pas, sont instrumentalisées par
les Politiques qui les érigent en victimes pour occuper l’espace médiatique,
épaulées par le politiquement correct ambiant au nom de la Fraternité, de la
Solidarité, de l’Egalité et enfin de l’Ouverture, notions qui n’ont jamais
profité aux asiatiques. De leur côté, ces derniers n'ont jamais évoqué ce passé
colonial pour revendiquer leur visibilité, comptant sur leur seul travail et mérite,
pour être reconnus, apparemment en vain. Désormais, les dérives de cet
antiracisme se retourne même contre les pays d'accueil. On parle de racisme antiblancs
venant de ces autres composantes de l’immigration.
«
L’anti-asiatisme » se traduit aussi par l’absence de médiatisation lors des
drames touchant les asiatiques. Exemple : la mort de ce chinois en crise de
démence tué à bout portant à son domicile, par la police qui intervient sur
plainte de nuisance sonore. Quelles que soient les justifications données par
la suite, cela n'a pas soulevé des semaines de polémiques ni de manifestations
de rue, contrairement au cas récent de Nahel et les autres violences de la part
des OQTF, ou des "jeunes" des Cités, quand les policiers sont mis en
cause. Ce chinois, tué sans sommation, ne menaçait personne dans le public
comme ces autres étrangers, à Bruxelles, à la gare de Lyon, à Annecy…, où même
les bébés en landau n'étaient pas épargnés. Pourtant la police a arrêté ces
délinquants, soi-disant psychotiques, avec précaution, presque avec égard. Ceux
qui crient "La police tue", n'ont pas hurlé ni manifesté dans le cas
du chinois, qui n’est pas le seul asiatique à mourir dans l’indifférence médiatique.
Certes, l’invisibilité de la composante asiatique
vient essentiellement de son éducation et de ses valeurs d’origines : il
est mal vu en société d’être « une grande gueule ». Tout peut être
réglé de façon calme et raisonnée. L’éducation insiste plus sur la réussite,
scolaire et entrepreneuriale, par le travail, par le courage moral, qui se
déclinent alors en effort, en patience, mais surtout en discrétion. Les
esbroufes, les poitrines gonflées, la grosse voix, les protestations et
agitations publiques, sont inhabituels. Les « jeunes » des cités qui
terrifient la société française, ne comptent pas dans leurs rangs beaucoup
d’asiatiques, voire aucun.
Mais, « l’anti-asiatisme » se traduit
aussi dans la condescendance héritée du temps de la colonisation. Donc, parler
de racisme, c’est aussi faire ressortir les pratiques administratives et
sociétales méconnues du grand public, qui traduisent ce mépris insidieux, que
l’émission de la 5 n’a pas réussi à faire toucher du doigt.
On peut noter par exemple la déformation des noms
vietnamiens, imposée par le service d’état civil des mairies ou préfectures, au
moment des premiers enregistrements administratifs, par ignorance ou par mépris
de la part des agents de ces services. La faute est partagée avec les
intéressés, victimes de leur absence de protestation, de peur de faire des
vagues, ignorant des conséquences graves pour la suite.
En la matière, deux exemples bien connus peuvent
être cités ici :
On écrit le nom Nguyen, souvent en N’Guyen, par
assimilation aux noms africains N’Djamena, N’Diaye, etc… ignorant que dans
l’écriture vietnamienne l’apostrophe n’existe pas. Notre chère Emilie a de la
chance que son père n’ait pas été victime de cette déformation. Aujourd’hui
encore, à maintes reprises, je continue à corriger cette habitude héritée de ce
mépris ou de cette ignorance.
Un autre cas, hélas assez courant : beaucoup
de vietnamiens ont vu leur nom de famille écrit sous forme de nom et prénom
complet de leur père. Un exemple, que j’ai déjà cité dans un article pour une
association d’anciens de Lycée : un camarade, (imaginaire pour ne vexer
personne), André Minh, s’est vu affublé comme nom de famille, le nom et prénom complet
de son père : Tran (nom de famille), van (nom intercalaire propre au
Viêtnam), Bui (prénom du père), ce qui donne André Minh Tran Van Bui.
L’identité première d’un individu commence par
son nom de famille. Ne pas respecter cet élément primordial, c’est lui refuser
sa dignité d’homme et de femme. Cela est d’autant plus offensant pour un Vietnamien,
quand on sait qu’une des règles coutumières en société est de ne jamais
désigner son interlocuteur par son nom de famille, encore moins citer le prénom
de son père, pour éviter qu’en cas d’offense, l’honneur de toute la lignée en soit
épargné.
Dans ma jeunesse, et même maintenant à 80
printemps/hivers bien sonnées, j’ai dû livrer encore bataille contre cette
forme de racisme latent du quotidien, manifesté souvent par les forces de
l’ordre ou encore des agents administratifs, toutes les fois où il faut
décliner mon nom, en corrigeant le N’Guyen qui continue à être spontanément
inscrit. J’ai demandé à mes enfants de rester vigilants, pour leur descendance,
car la pratique n’a pas cessé en 2024 ! Même mon médecin traitant continue
à orthographier ainsi mon nom sur les ordonnances malgré mes protestations. Le
fameux « Who’s who », renferme quelques N’Guyen à côté des autres
Nguyên. Cette vigilance ne serait pourtant pas nécessaire si j’avais un nom,
pourtant très compliqué à prononcer et à orthographier, de l’Europe du Nord, de
l’Est ou de l’ancienne Yougoslavie par exemple. Par ailleurs, la confusion
entre Lee (chinois) et Ly (vietnamien) est aussi signalée à maintes reprises.
Un autre mépris se manifeste depuis l’avènement
du traitement de texte sur ordinateur, invention d’origine américaine. En
effet, l’accent circonflexe sur le « e », a disparu du mot
« viêt » et ses dérivés. Le correcteur orthographique de Word signale
comme une faute cet accent dans le mot qui identifie nos origines. Pourtant, quand
des Jésuites portugais, dont Francisco de Pina, ensuite Antonio de Fontes et Alexandre
de Rhodes, avaient entrepris de romaniser notre langue dès le 17ème
siècle, au temps de Molière, dans le but de rendre plus facile la diffusion de
la Bible et donc l’évangélisation des peuples indigènes, une nouvelle écriture
devenue nationale a été créée et progressivement adoptée, bien avant les autres
écritures non occidentaux comme le Chinois, le Japonais, etc. Cette nouvelle
écriture, associée à une vraie grammaire, a donné naissance à une riche
littérature écrite, preuve d'une culture vivante et ouverte qui sait s'adapter à
l’évolution du Monde, avec tous les accents spéciaux, traduisant sa phonétique
si particulière, au nombre de six principaux et plusieurs secondaires composés,
à côté d’autres bien originaux, les « caractères à barbe », comme illustrés
dans cette comptine populaire :
« o tròn như quả trứng gà, ô thời đội mũ, ơ thời
có râu »
Traduction :
« Le « o » est rond
comme un œuf, le « ô » porte chapeau, et le « ơ » la
barbe ».
Remarque : Le « o » vietnamien se
prononce comme son équivalent « o » dans le mot « or »
français, le « ô » comme le « o » français, le
« ơ » comme le « e » français.
Conclusion : Quand on arrive à écarter ou à
minimiser à ce point tout ce qui constitue l’identité même d’un peuple,
n'est-ce pas du racisme ?
À mon avis, Emilie Tran Nguyen doit recommencer
un autre reportage sur ce thème pour rattraper l’immense lacune qu’elle a
introduite sur le compte des Vietnamiens (sans accent sur le « e »).
Nguyễn Xuân Hùng (Nom et prénom avec les accents et caractères
spéciaux)
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