TRADUIRE - DỊCH



À l'heure actuelle, on peut ménager ses méninges en matière de traduction, en faisant appel à Mr Google.


J'ai commencé par taper le mot vietnamien "Dịch", à l'écran, le mot magique est apparu, "pandémie". Génial !

Bon, maintenant, tapons dans le sens inverse pour voir.

"Traduire" et ça a donné ceci "Dịch".


Mazette ! Si je dois donner un titre à ce texte, je dois mettre quelle langue en priorité.


Il vaut peut-être mieux que je choisisse le français, en premier, qu'en pensez-vous ?


Voilà, voilà, notre exercice de traduction va commencer.


Prenons un poème vietnamien, puisque c'est ma langue natale. Juste quelques vers seulement, faciles à traduire : "QUẢ MÍT".

Tiens, un poème qui parle d'un fruit, ça doit être ennuyeux. Détrompez-vous. Car l'auteur n'est nul autre que notre célèbre poétesse Hồ Xuân Hương.


Quả mít


Thân em như quả mít trên cây

Vỏ nó xù xì, múi nó dày

Quân tử có yêu thì đóng cọc

Xin đừng mân mó, nhựa ra tay.


Hồ Xuân Hương


Passons voir Mr Google pour la peine, on va avoir notre traduction en quelques secondes.


Fruits de Jack


Mon corps est comme un jacquier sur un arbre

Sa peau est rugueuse et ses segments sont épais

Si un gentleman aime, il paiera une mise

N'y touchez pas, le plastique fera l'affaire.


Traduction de Google


Pour lui donner une note, je n'hésiterai pas à lui accorder un 5/10.


Quả mít : un fruit appelê "pomme jacque" ou "pomme jaque".

D'un arbre : le jaquier ou jacquier.


Fruits de Jack sonne comme un titre plutôt franco-anglais, car on n'a pas de Jack dans la liste des noms français, il me semble.


Mettons de côté la copie de Mr Google et allons en chercher une autre sur internet.

J'en ai trouvé une, traduite par Mr ĐÔNG PHONG.


Le fruit du jaquier


Le corps de votre soeur est comme le fruit du jaquier

Sa peau est rugueuse mais ses quartiers bien épais.

Si vous l'aimez, ô Messire, percez-le avec votre piquet

Ne le pelotez pas, sinon sur votre main sa sève va couler.


Traduction de Đông Phong


Tiens, on passe de la première personne MOI-JE à la troisième personne ici VOTRE SOEUR.


Et pourquoi donc ?

Il faut comprendre que dans la langue vietnamienne, les relations dans l'ordre social sont assez complexes.


Le MOI-JE en principe est le TÔI.

JE T'AIME : TÔI YÊU EM

si on change en ANH YÊU EM, c'est beaucoup mieux.

ANH désigne l'homme et il est d'un rang supérieur à EM.

EM : signifie donc MOI-JE pour une fille. Mais ça peut indiquer aussi une petite soeur. Quant à une grande soeur, c'est CHỊ.


Le corps de votre soeur est comme le fruit du jaquier :

Traduction mot à mot :


Thân em : Thân : corps; Em : ici, c'est MOI-JE


Hồ Xuân Hương a employé ce fruit pour parler d'elle-même. Son poème dénote une certaine raillerie, finesse et obscénité mélangées.


Et à quoi ça sert de planter un piquet dans le fruit ? Le but, c'est de le faire mûrir plus vite.


Entre les deux versions, laquelle préférez-vous ? Sinon, je vais vous en proposer une troisième, la mienne :


Jacque, fruit du Jacquier


Mon corps est comme le fruit

Sur son arbre, le jacquier

À l'écorce rugueuse

Aux quartiers charnus

Ô noble sire, si vous m'aimez

Plantez alors votre piquet

Veuillez ne pas me tripoter

Gare à la sève sécrétée

Sur vos mains s'écouler.


Traduction de Minh Châu


Et en anglais, celle de Mr Balaban :


Jackfruit


My body is like the jackfruit on the branch

My skin is coarse, my meat is thick

Kind sir, if you love me, pierce me with your stick

Caress me and sap will slicken your hands


Traduction de Balaban


LES PERLES DE LA TRADUCTION


Traduire un texte, en prose ou en vers, ce n'est pas le même travail, à cause des rimes pour les poèmes.


Surtout quand il y a des jeux de mots.

Comme dans le poème de BÀ HUYỆN THANH QUAN, une poétesse vietnamienne.


Qua đèo Ngang


Bước tới Đèo Ngang bóng xế tà

Cỏ cây chen đá, lá chen hoa.

Lom-khom dưới núi tiều vài chú

Lác-đác bên sông rợ mấy nhà.

Nhớ nước, đau lòng con cuốc cuốc

Thương nhà, mỏi miệng cái da da.

Dừng chân đứng lại: trời, non, nước

Một mảnh tình riêng, ta với ta.


Bà Huyện Thanh Quan


Le cuốc cuốc ainsi que le da da sont des oiseaux de taille moyenne.

Ils jouent un rôle important ici, à cause de leur prononciation et de l'orthographe qui vont donner un autre sens, une autre dimension au poème.


Cuốc cuốc : Nom d'oiseau

Quốc : (Homophone) presque la même prononciation, différente orthographe : Pays

Da da : Nom d'oiseau

Gia gia : (Homophone) presque la même prononciation, différente orthographe : Famille


Et en rassemblant "Quốc" et "Gia", ça change tout et signifie Pays.


Ce patriotisme exalté s'est résumé en deux phrases. C'est court certes, mais intense.


"Nhớ nước, đau lòng con cuốc cuốc

Thương nhà, mỏi miệng cái da da"


Le pays lui manque, ça brise le coeur au râle

À force de crier son amour pour sa famille, le francolin a la gorge sèche.


Une traduction sommaire nous décrit la scène, au passage du col Ngang, déjà au coucher du soleil : une nature luxuriante, mais assez déserte, quelques bûcherons, de rares cabanes en vue. Des oiseaux souffrant du mal de pays, ont poussé leurs chants désespérés. Et dans ce cadre pittoresque, une âme en détresse, par patriotisme.


Avec Google, j'ai obtenu ce résultat :


Marcher vers le col Ngang au coucher du soleil

Plantes en pierre Chen, feuilles fleurs chen.

Lom s'est accroupi sous la montagne pour faire pipi dans quelques arbres

Lac-dac est à côté de la rivière, où se trouvent quelques maisons.

Je manque d'eau, j'ai le cœur brisé pour la pute

J'aime ma maison, j'en ai marre de ma bouche et de ma peau.

Arrêtez-vous et restez debout : ciel, montagnes, eau

Un morceau de moi avec ma propre situation.


Traduction de Google


Merci à Mr Google pour cette traduction étonnante :

où l'on voit des noms bizarres comme Chen, Lom, Lac dac,

où Lom a dû s'accroupir pour faire pipi,

où le personnage principal s'est plaint, non pas du mal du pays, mais du manque d'eau et d'un coeur brisé à cause d'une pute, en ayant marre de sa bouche et de sa peau !


Et enfin, ma version :


Au passage du col Ngang


Au col Ngang, à mon arrivée

Le soleil déjà en plein coucher.

De l'herbe, des arbres se serrent contre des rochers

Et du feuillage contre des fleurs serré.

Au pied de la montagne, à dos courbés

Quelques bûcherons repérés.

Ça et là, au bord du fleuve, de rares huttes, éparpillées

Au mal du pays, des râles ont depuis succombé

Et les francolins, loin du nid bienaimé,

Captivés par leur chant jusqu'à s'enrouer.

Le temps d'une halte que voilà

Ciel, mont, eau... Un petit coup de coeur, là,

Juste entre Moi et Moi.


Traduction de Minh Châu


Nguyễn Thị Minh Châu


© cfnt, Collège Français de Nha Trang