J'ai toujours vécu dans la peur, faisant partie de ceux et de celles rendus vulnérables par l'âge et les comorbidités, face au redoutable virus : Le Covid-19 avec ses innombrables variants. Et aujourd'hui, j'ai fini par échouer dans un hôpital de campagne, monté en vingt jours en périphérie de Ho Chi Minh Ville. Août 2021 La tension monte depuis quelque temps chez nous. Que des nouvelles inquiétantes, venant des ruelles voisines, familles après familles. Des zones vertes qui se voient transformées du jour au lendemain en zones rouges. Des morts par-ci, par-là. Et la Mort vient rôder à côté de chez nous, en nous enlevant, l'autre jour, la marchande de Cháo - une de nos soupes, petit-déjeuner favori. Les restrictions de sorties n'ont pas empêché mon plus jeune frère de sortir, pour prendre des photos du quartier, désertique et sans vie. De temps en temps, il me ramène, d'un air ravi, quelques herbes aromatiques, des légumes de plus en plus rares, vendus en cachette. Et par la même occasion, il est devenu notre F0, sans s'en douter un seul instant. À cause de lui, toute la maisonnée a été contaminée, des F1, selon le code sanitaire. Dès que j'ai appris ses symptômes : forte fièvre, étourdissement..., j'ai appelé mes enfants et mon gendre est venu me chercher tout de suite. Et j'ai quitté notre maison familiale avec quelques affaires rassemblées en toute hâte, comme si j'avais le Diable à mes trousses. "Tu es une F1, maman, mais on doit s'occuper de toi quand même", a dit ma fille. Un test rapide avant de m'accueillir chez eux quand même, pour constater mon état. Le lendemain, une infirmière est venue pour faire d'autres tests, cette fois-ci, pour tout le monde. Par précaution, elle a changé sa tenue de protection autant de fois que nécessaire. Le verdict est tombé un peu plus tard, comme un arrêt de mort pour moi, l'exil - loin de ce cher foyer, mon si doux abri. Mon risque de contamination à taux élevé devrait l'obliger à me déclarer aux autorités locales et à me mettre en quarantaine quelque part. Mon gendre a pris une rapide décision, en tant qu'un des chefs de chantiers des hôpitaux de campagne de la ville, en me réservant une place dans une construction des plus récentes et moins remplie en ces temps critiques. Comme une condamnée à mort devant son dernier repas, j'allai terminer mon dernier morceau de poulet, si savoureux et croustillant quand mon gendre m'annonça l'arrivée de la voiture. Le poulet à l'instant tendrement apprécié a pris un goût de caillasse, trop dur à avaler et j'ai dû m'arrêter là, le ventre encore affamé. Retenant mes larmes, j'ai fait mes adieux, en silence, à moi-même, seule assistance à mon départ, avec cette simple promesse : "Je reviendrai, saine et sauve. Que Dieu me garde". L'hôpital de campagne Tout a l'air propre et bien organisé, pas de climatisation, seulement des ventilateurs au plafond. Des chambres à plusieurs lits, la mienne, mixte à cinq personnes. Deux hommes et trois femmes et ici, beaucoup de femmes enceintes. La plupart, en pleine forme, certainement des malades asymptomatiques comme moi. Le soleil tape très fort et nous renvoie la chaleur des toits en tôle. Pour nous cinq, un seul WC. On n'a pas intérêt à avoir des diarrhées en permanence. Pour tout désinfecter, un énorme bidon d'alcool est à notre disposition pour remplir nos propres flacons. Quand on prépare nos affaires pour partir comme ça vers l'inconnu, on n'a pas de liste toute prête pour ne rien oublier. Du coup on doit se débrouiller plus tard, pour nous faire parvenir, si on y arrive, quelques produits nécessaires, tels la lessive, le bol - pour la préparation des soupes de nouilles - le fameux Mì gói. Pour fuir la chaleur étouffante de l'intérieur, on peut se mettre dehors, mais sans arbres ni chapeau, on ne doit pas trop risquer de s'exposer au soleil. Pour tout médicament, on nous a distribué des vitamines C et pour certains, leurs médicaments prescrits par les médecins comme traitement, pour l'hypertension par exemple. À l'arrivée, j'ai vu un grand nombre de sorties de malades, ce qui m'a beaucoup réconfortée. Oui, je vais avoir de la chance, comme eux : Me guérir et rentrer à la maison. Des survivants, parmi les connaissances de mon gendre, m'ont donné juste deux conseils : " Garder un bon moral ( en coupant toute relation avec le monde extérieur, à cause des nouvelles de plus en plus alarmantes dues au Covid ) et bien manger pour se donner des forces". Ici, on n'est pas soigné, comme à l'hôpital. Aucun médicament. À part, le contrôle de température et la mesure du taux d'oxygène dans le sang. Premier jour, on m'a annoncé un spO2 à 97, plutôt bon. Le jour suivant, 96. Moyen. À force de porter le masque en permanence, même la nuit, pour dormir, je commence à avoir des problèmes : les cordons trop serrés aux oreilles, ça fait mal et on a tendance à relâcher le masque pour les soulager. Dans la semaine, de nouvelles venues, encore des femmes enceintes. Ma voisine, m'a fait un grand sourire, toutes dents dehors, mon Dieu, et son MASQUE ?!!!! À force de rappels, elle l'a mis. Sauf que, la femme sitôt après est tombée dans l'inconscience avec une forte fièvre. Personne n'est venue à notre appel. Vers le soir, deux formes humaines se sont présentées, en cosmonautes tout blancs. Sans doute des infirmiers ou infirmières. On n'a pas le luxe de s'offrir les services d'un médecin, faute de personnel soignant. Cet hôpital de campagne dépend d'un hôpital de Ho Chi Minh. Et en ce moment, tous les établissements de la ville sont débordés. Le nombre de contaminés ne cesse de croître malgré les quartiers barricadés et surveillés. Dans la cour, un malade, dans la soixantaine, tout nouveau transféré, s'est effondré à l'annonce d'une triste nouvelle : Son couple hospitalisé en même temps, sa femme y est donc restée plus longtemps et elle vient de perdre sa bataille contre le virus. Chaque jour, on incite les gens à apprendre à respirer. Respirer pour remplir nos poumons de ce souffle si précieux. Le souffle de la VIE. Et c'est par là que ce virus nous attaque, ce Delta Plus, ou sous quel autre nom de variant, dans le futur, nul ne le sait. Aujourd'hui, je vis et je respire, à pleins poumons. Demain, j'espère d'être encore à l'ombre de cet arbre. Le jour suivant, aussi. Et je compte chaque jour, car au 7è jour, on me fera passer le premier test. En principe, 3 tests négatifs devraient me libérer. Mais, une jeune femme m'a fait vite déchanter en m'apprenant qu'elle en est au 10è et qu'on ne lui a donné sa date de sortie qu'aujourd'hui même ! Je tiens à tenir ma promesse : Revenir saine et sauve, chez moi, chez nous, avec mes enfants et petits-enfants. En attendant ce grand jour, je vous dis : Au revoir, mes chers amis. Il court, il court ce virus de malheur Fais-toi vacciner de bonne heure Ou mets ton masque, sinon tu meurs. Il court, il court ce Delta Plus de malheur Gare à toi, s'il t'attrape, mon joli coeur Un, deux, trois, Méfie-toi, Le voilà aux abois. Invisible, Imprévisible, Aussi traître que possible ! Il court, il court ce variant de malheur En veux-tu ? Que voici, que voilà Des vaccins ? On y va de ce pas. Mais ceux des Chinois, on n'en veut pas ! Il court, il court ce virus de malheur À moi, il me fait peur Trop âgé Plus comorbidité. Une santé qui laisse à désirer. Combien de fois, devrai-je me faire vacciner Tous les six mois, dans l'année ? Et bien sûr, sans compter Ses indésirables effets. Mais même vacciné On n'est pas à cent pour cent protégé Il faut toujours nous masquer Combien de temps ça va durer Dur, dur pour le monde entier !!! COVID - LE DILEMNE FRANÇAIS À propos du virus et son genre : On le traite en masculin, en tant que "le" coronavirus, mais on le féminise en l'appelant "la" Covid-19. J'en perds mon latin, à vrai dire. Alors qu'au Canada francophone, le féminin a été adopté de façon définitive, ce n'est pas le cas en France où l'on hésite encore, tantôt "le", tantôt "la", le temps d'attendre la prise de position de l'Académie française, divisée sur la question. Finalement le jeune public et les médias ont décidé pour elle, par un usage courant du masculin. Les éditions de dictionnaires de 2022 se verront accorder LA Covid au masculin et en minuscule, tout en permettant le féminin. TDD |
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