Les vaches paisibles broutent l'herbe grasse d'une prairie normande inondée de soleil, au milieu des fermes à colombage, des allées roncières de mûres, des pommes trop lourdes tombées dans le fossé. C'est au château de Cernay, dans le pays d'Ouche. Comme un pays de cocagne! Quarante ans déjà! Fidèles au rendez-vous normand, la plupart étaient ici, Tu es venuE de si loin, du Canada, de Californie, Du Texas, mais aussi de Belgique et de France, La silhouette des absents répandait leur présence. Les bâtiments du Collège Français de Nha-Trang Ont hélas disparu, remplacés pour un temps Par la belle demeure du château de Cernay, son allée Magistrale, son jardin d'un vert profond de fin d'été. Mais résonnent toujours les cris de la récréation du collège d'antan, Ainsi que l'appel de la vendeuse ambulante d'oeufs couvés, Et, comme des cerfs-volants, les toiles de parachute colorées Sur le sable de la plage, les petites gargotes des soirées douces de Nha-Trang. Dans la cour, vous étiez alors comme une nuée d'hirondelles, Jeunes filles, vous glissiez, légères, comme à tire d'aile, Jeunes hommes, votre sourire ne disait rien du malheur à venir. Jeunes gens des années 70, ici que d'émotion de se réunir! Un soir, tu as raconté la dispersion, l'épouvante, le bruit et la fureur, Le raclement des chenilles de fer sur la terre éventrée, L'oppression absurde et pesante, les longues années de terreur, L'existence barrée, toute déchirée aux fils de fer barbelé, Enfin l'exil sous des cieux étrangers et désormais familiers. Là-bas, malgré toi, tu as connu le feu dans la cheminée, Le froid vif, le gel et la neige de la chanson de Ferland, La nostalgie de la terre natale qui s'éloigne, effacée Comme une île au grand large de la baie de Nha-Trang. Tu fus comme Icare, tu planais jadis dans l'azur, Mais un soleil de plomb a fondu la cire de tes ailes, Tu es tombée dans une mer agitée et amère Les yeux sans cesse tournés vers ce ciel de lit, Baldaquin où surgissent les souvenirs pêle-mêle: «Dites-moi, qu'est-il donc advenu de mon pays»? Le temps de nos vingt ans, le temps de vos dix-huit ans, Tout fut retrouvé - ou presque - de nos frasques d'antan; Grâce au calvados, au chant, - le trou normand aidant -, A nos hôtes attentionnés, Cernay fut un hameau de Nha-Trang. Temps retrouvé, temps partagé, notre moment d'éternité! Roland Egensperger Baziège, 13 septembre 2014 |
© cfnt, Collège Français de Nha Trang