Mon dernier jour au collège



C'était en mai 1975, vers le milieu du mois. Le collège ne fonctionnait plus depuis quelques temps, les enseignants et leurs familles étaient partis pour Saïgon puis la France. Il ne restait plus à Nhatrang que le dernier directeur, Jean-Marie Sarrasin, et moi, lui parce que le capitaine d'un vaisseau qui fait naufrage part en dernier; et moi, parce que j'avais du mal à m'arracher à cette ville où je venais de passer six années et où j'avais tant d'amis.


Un matin, Jean-Marie vient me voir et propose: " Allons au collège". D'accord. Nous ressentions le besoin de respirer une dernière fois l'air sous les filaos de notre école.


Arrivés dans la cour, déserte et terriblement silencieuse, nous sommes allés au mât où nous avions l'habitude, tous ensemble, le lundi, de lever les couleurs vietnamiennes et françaises.


A quoi pensions-nous alors? Pour moi, il y avait quelque chose d'irréel, ça ne pouvait pas finir comme ça. Tous ces élèves qui mettaient tant d'ardeur à pratiquer le français et dont les familles parlaient notre langue avec tant de distinction.... Les relations chaleureuses, amicales, avec cette ville qui nous avait accueillis...


Triste sentiment d'abandon.


Nous avons descendu le drapeau français, l'avons soigneusement plié. Toujours en silence. Avant de sortir, nous nous sommes arrêtés devant le panneau en bois représentant une carte de France sur laquelle étaient inscrits les noms des villes d'origine des profs. Tout ça allait disparaître bientôt... Quelques jours plus tard, nous avons quitté Nhatrang, in extremis. Et quand l'avion a pris le virage au-dessus de la mer, là, j'ai compris que je ne reviendrais jamais et j'ai pleuré.


Aujourd'hui, à travers le site du CFNT, c'est comme une renaissance. Non, les élèves n'ont pas oublié leur collège, ils continuent à parler merveilleusement bien notre langue, ils se souviennent des lieux et des personnes. Merci à eux, de tout coeur.


" Ce fut un tel déchirement de partir en 1975, en laissant tant de gens en détresse, un tel sentiment d'injustice... "


Noëlle Perrier



© cfnt, Collège Français de Nha Trang