Un Tết pas comme les autres



Y a ceux qui vous disent "You and me"

Qui vous passent sur le corps et puis

Vous laissent de jolies cicatrices

Les amis, les ennemis


Comme une sentinelle dans la nuit

Je suis debout, je vis ma vie

Et je crie "Qui va-là, ami ou ennemi?"


Je chante pour passer les envies

Je chante d'avis, ça change la vie

Quand ils sont sales, je change d'amis Ou d'ennemis


Ceux qui m'ont aimé en sourdine

Ceux qui m'ont tuée d'un sourire

Car parfois parfois c'est bien pire

Un ami qu'un ennemi…


J'avais une camarade de classe, H.  Elle aimait beaucoup porter sa mini robe bleue avec des fleurs comme motifs, aux manche courtes, dévoilant ses deux belles jambes, longues et droites.  Elle était plus grande que les autres filles de la classe.


La plupart des filles avaient les jambes un peu arquées.


De nos jours, les jeunes sont mieux dotées, puisqu’on parle maintenant de beautés « chân dài » - « les belles filles aux longues jambes », comme des mannequins et qui n’ont rien à envier aux Européennes!


H. avait un visage plutôt ingrat, long, guère avenant. Son langage, aux critiques acerbes ajusté au regard chargé de venin si par malheur, elle avait une dent contre quelqu’un.


C’était ce qui était arrivé à une fille de l’école. On la voyait éviter les regards de H. ou prendre une autre allée pour ne pas tomber face à face avec elle. Et si, par un malencontreux hasard, elles se croisaient, la pauvre fille tenait la tête baissée, comme effacée car elle se savait perdue devant son adversaire, la redoutable H. Et H. toujours avec son air fulminant, ses yeux furibonds comme si elle allait avaler sa proie vivante.


Entre H et moi, on était camarades de classe, sans plus. Quelques échanges de rigolades de temps à autre.


Un jour de Tết, de bonne heure, elle était venue me rendre visite.  Quelle surprise! Quelle gentillesse de sa part de m’avoir choisie le premier jour de l'an comme une invitée de marque.  Acceptant sa proposition, on allait prier au temple de Chàm  à Đồng Đế, pour nous apporter Chance. Avec ma Honda, on prit la direction de Xóm Bóng. On peut dire qu’elle voulait me charmer, une agréable compagnie à force d’éclats de rires entre nous.


Une fois déposé H. chez elle, je fus de retour à la maison vers midi. « Chị Ba » m’informa de la venue d’une belle femme, toute maquillée et bien vêtue qui voulait ramener sa sœur.


A l’époque, sans téléphone ni internet, on ne pouvait se communiquer à l’immédiat. J'attendais donc la rentrée des classes pour la revoir. Quelques semaines plus tard, en la voyant dans le groupe d’élèves, en toute innocence, et avec joie je m’enquis auprès d’elle « Alors, tes parents ne t’ont pas causée de problème à cause de ta balade? ». « Tu dois être une chienne cachée sous le lit de mes parents pour savoir s’ils m’embêtent ou pas? » et ce, d’un ton glacial, ô mes aïeux!


Bouche bée, choquée par ses méchantes paroles, je baissai ma tête. J’allai rejoindre une autre bande de camarades, me sentant trahie par quelqu’un qui m’avait témoigné de l’amitié ou du moins je le croyais. En plus, le premier jour de l’an, au lieu de porte-bonheur et chance, elle portait la poisse déjà, on dirait.


En y réfléchissant bien, je me suis fait avoir. H. allait à l’école à pied. Elle savait qu’elle pouvait profiter de ma moto pour aller aux temples "Tháp Bà": c'était joindre l’utile à l’agréable, pourquoi pas? Quelle combine!


Et depuis, je l’évitais comme l’autre fille, victime d’elle.


Je n’ai jamais compris le comportement de H.


A l’époque, au CF, les jeunes filles étaient de bonne famille, plus ou moins de milieu bourgeois de la ville, au langage châtié.


H. était la haine personnifiée, vu son agressivité sans bornes. Sans compter son « parler comme un charretier », ma parole. Pour moi, elle était pire que les marchandes de poisson de Chợ Đầm!


Une fois, en passant dans l’allée étroite entre les deux tables, je frottai par accident mon épaule contre la sienne. Elle s'arrêta devant moi, avec sa main, essuyant son épaule d'un air dégoûté comme si j’avais la lèpre.


Et moi? J'avais fini par éviter ses regards. Je baissais ma tête.  Je ne marchais plus dans la même allée qu’elle. Exactement comme l'autre fille, à la fin!


Le jour de mon mariage, elle l’a su par un groupe de copines qui devaient venir aux noces, et sans gêne, elle s’est invitée elle-même (comme ce jour de Têt d’ailleurs), tout sourires envers moi, faisant comme si les insultes et  le mépris naguère n’existaient pas!


Après, elle me rendait visite encore deux fois. Faisant semblant de me répéter - soi disant - ce qu’avait dit quelqu’un d’autre de ma connaissance, des propos salaces, ce qui me laissait supposer qu’elle était déjà experte en cette matière.


Pour toute la classe, elle était « đanh đá », « hàm hồ », « cong cớn » la championne du vulgaire. Même sans avoir eu de conflit avec elle, certaines filles de ma classe préféraient ne rien savoir d’elle, à cause de sa notoire personnalité et sans doute déjà au courant d’une bagarre terrible entre elle et Huong (La pauvre H. verte de peur, tellement choquée ce jour là!)


Un jour, aux Etats-Unis, j’ai reçu un courrier du Viet Nam, venant de H. Intriguée, j’ai parcouru sa lettre, écoeurée au plus haut point, mais quel faux cul, celle-là!


Elle m’informa qu’elle allait quitter le pays pour s’installer à Paris.


***** 


(En parlant de faux cul, ça m’a fait penser aux femmes qui, par coquetterie, ont encore recours à ces rembourrages, pour augmenter le volume de leurs fesses. Elles ne savaient pas qu’en marchant, ça arrive que les quatre fesses bougent sans aucun accord et les trahissent ainsi.


« Ma grand-mère avait même de la distinction, aux fêtes elle portait un faux cul en carton et elle ne pissait pas debout sous ses jupes comme la plupart des femmes de la campagne, par commodité » (Annie Ernaux, La place, Livre de Poche, p.27))


Lê Thị Lam Sơn



© cfnt, Collège Français de Nha Trang