A l'époque, chaque année, au CF, on devait faire la queue dans la cour pour les vaccins. Quand je regardais la personne qui enfonçait l'aiguille dans mon bras, je hurlais. Non seulement je détestais les vaccinations, mais je me retrouvais malade, à chaque fois. A cause de la fièvre, je devais rester au lit, quelle misère! Surtout je devais manger du porridge – de la bouillie avec un peu de sel. Parfois ma mère me donnait une orange. (Quand on est malade, il faut éviter toute nourriture normale pour ne pas abîmer son estomac, à ma connaissance). Pour moi, au Viet Nam, le traitement des malades se faisait, par coutume, par des piqûres. D’après mes souvenirs de l’époque, chaque fois qu’on allait voir le docteur Ty (son cabinet se trouvait du côté du marché de Phường Củi), il y avait toujours du monde dans la salle d'attente. L'infirmière m'appela, je dus m'allonger sur la table d’examen, et après la consultation, c’était la douloureuse et inévitable piqûre aux fesses. Je hurlais, car non seulement ça faisait trop mal, mais en regardant l'aiguille de la seringue, j’avais l’impression qu'elle me transperça jusqu'à l’os. Il y existait aussi des services d'infirmière à domicile: La femme âgée d’une vingtaine d’années, circulant en Honda. Elle proposait même, sans ordonnance, des ampoules de vitamines en extra, qu'elle donnait ainsi chaque jour à ses clients. Du travail vite fait et elle s'en allait. A la fin du mois, on faisait le compte avec elle. Au début, c’était une beauté "mộc mạc" naturelle, toute simple, mais bientôt grâce à ce boulot lucratif, elle se fit offrir une séance de chirurgie esthétique. Avec un nouveau maquillage, des cheveux frisés, et son nouveau nez rigide (qui n'allait pas avec son visage, à mon avis), elle avait ruiné son physique. Trop sollicitée par la clientèle, elle prêtait moins attention à son matériel, stérilisation des aiguilles et seringues, l’hygiène oblige. Le résultat, ma mère avait une sorte de nodule aux fesses, elle devait aller voir Dr Ty: C’était un abcès tout simplement. Du coup, elle fut bannie illico de chez nous. Un jour, le CF avait envoyé chez nous un courrier d’information: j’avais raté la séance de vaccinations à l’école. Ma mère m’ordonna d’aller voir le Dr Kình dont la cabinet se trouvait juste derrière notre rue. Avec mon petit frère âgé de cinq ans, j’attendais dans la salle. L'odeur des médicaments et les appareils déjà me terrorisaient. Une infirmière vint me voir avec une seringue, me demandant d'enlever ma chemise. La piqûre devait se faire dans l’épaule. A l’approche de l’aiguille, je résistai en bougeant. Je continuais malgré son insistance. De guerre lasse, elle alla vers le Docteur Kình et lui murmura quelque chose à l’oreille. C'était un homme grand, à la peau mate, aux cheveux coupés au carré, portant des lunettes. Un air trop sévère. Sans mot dire, il s’avança vers moi. Et vlan, une gifle en pleine figure. Choquée et par peur, je restai coite et il me piqua. J’étais mortifiée par l’attitude du docteur lui-même, la douleur provoquée par l’aiguille n’était rien à côté! Vint le tour de mon petit frère, spectateur malgré lui de l’acte de terrorisme sur sa sœur et docile, il tendit son épaule, sans cri ni mot, pour recevoir sa piqûre. Humiliée bien que terrifiée par la gifle du docteur, j’étais en colère une fois remise du choc. En plus, l’infirmière fit un commentaire « Regarde, tu as vu l’exemple de ton petit frère! Pourtant il est encore plus jeune que toi ». Je la fusillai du regard et l’autre aussi, le grand docteur en uniforme blanc. A cause du vaccin, de nouveau malade comme à chaque fois, je devais garder le lit pendant quelques jours avec ma fièvre et mon épaule bloquée. Hantée par la gifle, je me sentais toute retournée à chaque passage devant sa clinique, depuis le trajet, de l’église jusqu’à la rue Độc Lập. « Comment s’est-il permis de me gifler ainsi? De quel droit? ». Quel crime ai-je commis? D’avoir été indocile? Si je racontais cette histoire à mes parents, ils allaient encore me punir, une autre gifle pour avoir osé provoquer la colère du médecin? "Mon Dieu, ayez pitié de nous, les petits innocents!" C’est vrai, à l’époque, c’était des coups, des gifles en matière de corrections. Aucun numéro de téléphone au service des abus d’enfants comme à l’heure actuelle. En tant que patiente, je ne vois pas de docteur qui malmène de la sorte un malade! Je n’ai soufflé mot à quiconque de cet incident, ni à ma meilleure amie, peut-être à cause de la honte. Je l’ai gardé en moi pendant quarante ans, pour ne le confesser enfin qu’aujourd’hui grâce à ce site en exorcisant le passé. Lê Thị Lam Sơn Dr Đào Huy Kình & Prof. Nguyễn Quảng Tuân |
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