J’ai décrit mes camarades, mes copines du CF, d’après mes souvenirs, dans les détails, assez précis je pense.
Mais je ne me suis pas oubliée, ne vous inquiétez pas. Je vais essayer de vous faire mon autoportrait du temps où j’étais encore sur les bancs de l’école.
Eh bien, physiquement je ne sais pas à quoi je ressemblais à l’époque et ça me tracassait pas mal à ce sujet, à propos de ma beauté.
Qui a dit « Beauté »?
Pour ma mère: Qu’on lui disait que j’étais « garçon manqué » ça ne lui plaisait guère.
Mais si on m’observait un peu de plus près, force était de constater que quand ma voisine – du même âge que moi- marchait avec grâce dans sa tunique « áo dài », moi, je courais. On dirait que le temps lui-même me pressait, là où j’allais, au point d’oublier le magasin ou la rue à chaque fois. Je devais alors repérer l’endroit où je me trouvais à ce moment-là! On dirait que je n’avais aucune notion du temps, que je ne savais pas lire l’heure, car j’arrivais trop tôt à l’école et du fait qu’il n’y avait personne, j’avais pensé qu’il n’y avait pas de cours alors je rentrais!
Je m’inquiétais de mon apparence, me trouvant moche au reflet du miroir. Je me souciais des remarques et du regard des autres. J’accordais beaucoup d’attentions et de soins à mes tenues mais rien ne me convenait pour ainsi dire.
J’avais l’air d’une fille « normale » avec mes cheveux longs jusqu’au jour où ma mère voulait m’emmener chez un coiffeur. Elle voulait une coupe bombée: Sur les côtés, les cheveux devaient tomber jusqu’aux oreilles et devant, une frange droite couvrant mes sourcils.
Le coiffeur m’avait presque tondue ce jour-là, il avait rasé au lieu de couper mes cheveux. Une coiffure, tu parles! Pendant deux jours consécutifs, j’avais pleuré et refusé de manger et de sortir de chez moi car j’avais l’impression d’avoir un champignon poussé sur mon crâne.
Et ma mère qui me regardait à chaque fois en me rassurant « Comme tu es mignonne! » Je sanglotais de plus belle. Des larmes de peine et de honte qui ne m’arrangeaient pas du tout: Un visage rouge avec des yeux gonflés! Tout le monde allait savoir que j’avais pleuré, ô mon Dieu, ce serait pire encore!
A force de courir, je tombais sans arrêt. En me cognant la figure contre le bord d’un seau, j’avais récolté une coupure près de mon sourcil. Depuis, une profonde cicatrice qui me hantait pendant fort longtemps.
A cause des regards des autres ou des remarques, je me murais dans ma souffrance, en silence.
Et ce n’était pas fini, en tombant de bicyclette ou en trébuchant dans ma course, je m’écorchai aux genoux.
Une large plaie qui se cicatrisait mal à cause de la croûte que je n’arrêtais pas d’enlever trop tôt!
Pour cacher mes vilaines trophées sur le corps, j’adoptais les ensembles tuniques pantalons plus souvent que les jupes. Mais la cicatrice du visage se voyait toujours et je n’y pouvais rien.
La déesse Vénus avait dû me jeter un sort car j’étais la seule à être myope en classe. Aussi myope qu’une taupe et je devais aller chez l’opticien « Long Thanh » rue Độc Lập » pour me faire faire des lunettes. Binoclarde aux verres épais, me voilà avec l’allure d’une paysanne « nhà quê », à côté des autres filles - mes copines si coquettes et si élégantes!
Le comble de tout ça, ma grande sœur qui répéta à ma mère la remarque d’une copine sur moi « Ta petite sœur a un grand nez »!
Pitié les filles! Avec ma confiance et mon amour-propre déjà gravement touchés, mon complexe d’infériorité grandissant avec le temps…Pas besoin de me donner ce coup de grâce!!!
A chacune de ses visites, je fixais son nez épaté et je me demandais « Mais comment a-t-elle pu critiquer mon nez, sur quelles critères de beauté? »
Voilà à quoi je ressemblais alors: Des joues rondes grâce à mon bon appétit –vu mon âge, en pleine croissance – ma peau noire due au soleil (surnommée « négresse » par mon grand frère).
J’avais la mauvaise habitude de sucer mon pouce même encore longtemps après avoir perdu toutes mes dents de lait, Mon pouce ainsi malmené est devenu aplati maintenant. Et en même temps, mes dents de devant déformées, saillantes. Mon grand frère, à ses moments de colère, m’accablait de quolibets:« Ta gueule, la nonne aux dents de lapin »
Je ne souhaite à aucune fille la même situation que la mienne - ni la même beauté!
Heureusement pour moi, jeunesse rimait avec insouciance. Quand je rigolais avec mes copines, plus rien d’importance à ce moment-là. Je m’éclatais à mes stupides jeux et facéties, au cinéma avec de merveilleux films, à faire l’école buissonnière…Et je ne pensais plus à moi-même.
Miroir, ô miroir, dis-moi, oui dis-moi que j’étais la plus belle…pour aller danser.
Comme Sylvie Vartan qui chantait en ce temps-là, pour moi, pour vous, les filles de mon âge:
Ce soir, je serai la plus belle
Pour aller danser
Danser
Pour mieux évincer toutes celles
Que tu as aimées
Aimées
Ce soir je serai la plus tendre
Quand tu me diras
Diras
Tous les mots que je veux entendre
Murmurés par toi
Par toi
Je fonde l'espoir que la robe que j'ai voulue
Et que j'ai cousue
Point par point
Sera chiffonnée
Et les cheveux que j'ai coiffés
Décoiffés
Par tes mains
Quand la nuit refermait ses ailes
J'ai souvent rêvé
Rêvé
Que dans la soie et la dentelle
Un soir je serai la plus belle
La plus belle pour aller danser
Tu peux me donner le souffle qui manque à ma vie
Dans un premier cri
De bonheur
Si tu veux ce soir cueillir le printemps de mes jours
Et l'amour en mon coeur
Pour connaître la joie nouvelle
Du premier baiser
Je sais
Qu'au seuil des amours éternelles
Il faut que je sois la plus belle
La plus belle pour aller danser
Lê Thị Lam Sơn
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