Mr Larguier, mon professeur d’histoire et de géographie, ma mémoire me fait faux bond et je ne me souviens plus en quelle classe ni en quelle année je l’ai eu comme prof. Mais je me rappelle son air sérieux, un professeur dévoué. Peu de sourires en tout cas. Un accent par rapport aux autres professeurs, à mon avis, ça devait être un accent provençal. Cet accent du pays de lumière qui vous fait penser au paysage de cyprès, de chênes et d’oliviers, une mer d’oliviers entourant des villages pittoresques de la vieille époque, véritable enchantement pour les yeux et l’esprit. Tout comme Nha Trang qui profite du soleil dix mois sur douze, sa Provence ne vit que par la lumière, une lumière qui a obsédé tant de peintres, Cézanne, Van Gogh… Et Zola qui, parvenu à l’âge mûr, parle encore avec nostalgie de sa Provence bien-aimée : « J’ai poussé comme un jeune arbre, sous le grand ciel bleu. En ce moment encore, il n’est pas à Aix un coin de rue, un pan de vieille muraille, un bout de pavé ensoleillé qui ne s’évoque avec un relief saisissant. Je revois les moindres sentiers des environs, les petits oliviers grisâtres, les maigres amandiers, frémissant du chant des cigales… » Ma ville de plage aussi avait ses filaos aux fines aiguilles bruissant au rythme d’une brise douce et légère, dérangeant quelques cigales endormies sous la torpeur des étés torrides. Mr Larguier ponctuait toujours ses fins de phrases par un « donc ». Ce qui nous a donné, à ma copine et à moi, l’occasion d’inventer un autre jeu en classe. On guettait chaque fin de phrase pour se regarder et murmurer juste entre nous ce fameux « donc ». Et on ne l’a pas raté, c’était bien le mot qu’il répétait. Il avait repéré notre petit manège, ce chuchotement suivi de petits rires. Un bref instant, ses yeux fixés sur nous deux. Notre partie de rigolade devait cesser sur le champ. On allait lui montrer nos visages passablement sérieux et faire semblant de prêter une oreille attentive à son cours. Notre professeur aimait porter des pantalons serrés, voire moulants, un peu courts je trouve, s’arrêtant au niveau de la cheville « mắt cá ». Nous observions ses tenues et les réflexions ne manquaient pas, du genre « Et si par hasard son zipper (fermeture éclair) ne marchait plus? » Et on riait. Ou bien « Il faudrait lui ajouter une autre patte (de tissu) au milieu » Et on riait de plus belle. Pliées en deux, à en avoir les larmes aux yeux pour vous dire. C’était « donc » Mr Larguier notre favori, un sujet devenu fertile pour notre imagination juvénile. On lui donnait même un surnom à cause de sa barbichette et on riait. Une camarade de classe se montrait sérieuse et studieuse à ses cours. Elle avait toujours des questions à lui poser. Elle était une des meilleures élèves et très sage. On le voyait attentif à son égard. Chaque fois elle l’approchait pour lui demander quelque chose, la plupart des filles se regardaient entre elles, surtout ma copine et moi "Encore, mais c’est vu déjà ». On s'ennuyait le soir et on se demandait ce que Mr Larguier pouvait bien faire chez lui, alors on allait le voir. On ne savait pas encore ce qu'on allait faire, mais on saurait bien improviser une fois sur place. Il habitait dans une des rues longeant l’avenue de la plage. En Honda à l'époque, tout trajet parut plus rapide et facile. On l’épia à travers la barrière et aperçut une pièce bien éclairée. Il était assis près de la fenêtre. Quelques minutes d’observation et tenant compte du jardin et des feuillages qui nous cachaient, le seul moyen d’attirer son attention, c’était d’appeler son nom carrément. « Un, deux, trois, allez, on y va… « Larguierrrrrr » ». A peine le temps de remarquer sa tête se tourner vers le jardin, nous voilà en train de détaler, regagner notre moto et filer à toute vitesse, mortes de rire. On n’arrêtait pas d’inventer, pour nous moquer de notre professeur. Intriguée par nos stupides parties de rigolade, H. voulait se joindre à nous. Un jour, HB vint vers nous. Elle nous confia d’un air soucieux son problème: Quelqu’un a écrit sur le tableau son nom et celui de Mr Larguier. Stupéfaite, je la fixai…Muette, ma foi. Personnellement, rien vu, rien su de tout cela, moi! Vint l’heure du cours. Mr Larguier était là mais pour une fois, paraissant perturbé malgré une apparence grave. Ses yeux allèrent directement dans notre direction, nous fixant comme deux coupables. Bravement je lui rendis son regard. « Ce n’était pas nous, je vous le jure! ». Qui a osé faire une chose pareille? Le mystère devait être éclairci pour être pardonné. J’ai fait ma part de mea culpa aujourd’hui. Mr Larguier, là où vous êtes (peut-être avez-vous retrouvé votre belle Provence), soyez remercié d’avoir été un bon professeur, si attentif et si dévoué. Lê Thị Lam Sơn |
© cfnt, Collège Français de Nha Trang