La fille du Chef de la Police de Nha Trang



Copine de classe au CF pour une année scolaire seulement à Nha Trang, son père était le Chef de la police locale.


Chez elle, on voyait des assistants (des aides au quotidien) et elle-même avait son propre chauffeur pour l’emmener à l’école dans le véhicule de son père.


Faisant partie de son groupe de préférées, j’étais souvent invitée chez elle.


Parfois, elle m’offrait quelques gourmandises que sa mère avait ramenées de Sai Gon. A l’époque, une tablette de chocolat enveloppée dans son papier d’aluminium était un luxe inoui! Un vrai délice, quoi!


Quand on était invité chez elle, tout était servi en abondance, copieusement, généreusement…


Un jour, elle m’avait montré en cachette une photo en noir et blanc, provenant d’une saisie de la police, à cause d’un trafic illégal de photos pornographiques. « C’est interdit de faire circuler ces images! » me chuchota-t-elle.Il s’agissait de photo d’une Européenne debout, adossée contre une chaise, exhibant ses rondeurs, nue, une femme qui correspondait aux tendances de la mode et de la beauté féminine des années Charlie Chaplin.


A une autre occasion, elle nous faisait venir discrètement un soir de grande fête, en l’honneur des grandes personnalités de la ville. Le grand salon était envahi par du monde. Personne ne nous prêtait attention et elle en profitait pour nous servir à volonté, un méli-mélo de nourriture, une cuisine internationale pour tous les goûts, des plats chinois, indiens, français…dans un coin du jardin.


Je me souviens encore d’une grande table avec quantité de plateaux avec tous ces plats raffinés, des cadeaux - soi-disant gracieusement "offerts" - au Chef de la police par chaque restaurant renommé de la ville.


Un jeune Indien apportait des plateaux de riz et de viande au curry. Son restaurant, le seul et unique dans la ville, n’était pas loin du cinéma Tân Tân.


C'était la première fois de ma vie que je goûtais du riz " NI ", du riz jauni par le curcuma, cuit dans un bouillon parfumé d'épices spéciales, un peu piquant, où flottaient de grands morceaux de viande de chèvre, bien tendres. Leur curry était différent de celui de ma mère qui cuisinait avec de la citronnelle, du gingembre et un peu de poudre de curry mais j'étais sûre qu’il y avait un secret dans leur préparation.


Ce même garçon après allait au CF, en classe de 6ème spéciale. Peut-être était-il là contre sa volonté, car il n'y avait pas d’école pour les Hindous à Nha Trang à l'époque. Il ne savait pas répondre aux questions posées par l'institutrice qui lui avait trouvé une activité, c’était lui, le préposé pour essuyer le tableau noir. Elle lui tendait l’éponge et docilement il essuyait, puis il retournait à sa place.


Plutôt que de le laisser s’ennuyer sur le banc en classe, quoi de plus naturel que de profiter de sa grande taille pour cette tâche ingrate mais qui s’avérait utile pour tout le monde!


 Quand on faisait la queue pour entrer en classe, il était devant moi et j'avais fait un bout avec le coin de ma chemise où je donnais une chiquenaude. Il baissait son visage sans rien dire. Les autres riaient de bon cœur et j’exultais. Peu de temps après, il quitta l'école.


Je le voyais passer en moto devant chez moi, rue Doc Lap, quelque temps encore. Après, son restaurant n'existant plus, il avait dû rentrer en Inde ou se rendre à Saigon pour le commerce?


Quand le chauffeur ne venait pas chercher ma copine à l’école, on rentrait avec elle à pied, à trois. Elle la dodue  (trop bien nourrie, ma foi) au milieu et nous, flanquées sur ses côtés (deux petites maigres) comme ses gardes du corps!


Notre trajet devait passer devant sa villa, jusqu'au rond point de Ty Thong Tin et en tournant à droite, c'était la rue Doc Lap où j'habitais. Elle nous invitait parfois, en passant, de boire un grand verre de limonade bien glacée.


Un beau matin, elle nous annonça qu'elle allait rentrer à Saigon. J'ai lu un article plus tard dans un journal: son père devait partir dans les vingt quatre heures suite aux ordres de ses supérieurs.


C'était une triste nouvelle pour nous tous, en classe, même pour le professeur.


On m'a dit, en 75, qu’une camarade l'a rencontrée quelque part en Californie, mais malgré mes recherches,  je n'ai plus jamais eu de nouvelles d'elle.


Dans ma mémoire, elle est restée une fille sympa, de joyeuse compagnie, chef de notre « Bande », des tapageuses, taquines jusqu’à sans vergogne … Son père était bien Chef de la Police, non? Rien à craindre, ha ha.


Lê Thị Lam Sơn



© cfnt, Collège Français de Nha Trang