J'ai connu une fille qui n'était pas dans la même classe au CF. Elle venait souvent me voir à la maison. Mon frère et elle devaient se marier et d'un coup, flop, tout était tombé à l'eau! Etudiante à Da Lat, elle s'était d'abord fiancée avec un garçon d'une famille aisée de la région, avant de connaître mon frère, aux dires de nos voisins. A chaque visite, je l'invitais souvent à manger dans les buvettes au bord de la mer. On ne se parlait pas trop. Elle était plutôt du genre silencieux, se plaisant à fumer cigarette sur cigarette et elle aimait boire de la bière. Comme on n'était pas aux même cours, on n'avait rien en commun, rien à partager sur notre passé au temps du CF. On se contentait de sorties entre filles - une certaine camaraderie, d'anciennes du CF. Je ne lui posais aucune question sur sa vie privée. C'était pour moi un plaisir de l'inviter chez moi, des visites assez fréquentes d'ailleurs. (L'arrivée des Américain avait changé nos habitudes de vie à l'époque. J'avais souvent vu de la drogue circuler sous mon nez. Mais ça ne m'intéressait nullement. Et je pensais, déjà à ce moment-là, que chacun était libre de faire ce qu'il voulait. La guerre n'arrangeait guère les choses car dans mon quartier, je voyais de belles jeunes filles faire toutes sortes de métiers. Une des filles était locataire de ma mère. Elle était belle avec ses longs et épais cheveux. Moulée dans son pantalon aux pattes d"éléphant, elle pouvait être fière de montrer son beau derrière! Hélas, la drogue et la guerre se sont liguées contre elle, comme le cas de tant d'autres victimes, et quelques années plus tard, elle était retournée voir ma mère pour lui demander un peu d'argent, ce n'était plus la même, ses dents toutes abîmées avec quelques vides par-ci, par-là. ) Entre nous, malgré cette camaraderie, aucune confidence ni intimité. Je n'abordais même pas avec elle le sujet des études supérieures. Une chose curieuse, j'ai remarqué que contrairement aux autres enfants de familles fortunées, toujours gâtés en argent de poche, elle était complètement démunie. Après mon départ aux Etats-Unis, elle continuait des relations avec nous en fréquentant ma petite soeur. Des années plus tard, ma mère m'avait annoncé l'annulation du projet de mariage entre mon frère et une camarade du CF. Suivant les traditions, ma mère avait avait demandé à une dame - entremetteuse réputée à Nha Trang - d'entrer en contact avec le père de la fille - sa mère étant décédée - pour faire la demande en mariage. Ladite dame, digne de son nom, connaissait toutes les jeunes filles ( en âge d'être mariées ) de la ville, saisie d'étonnement par le choix de la famille, avait voulu avertir ma mère du passé de la future mariée, soupçonnée d'être une droguée. Elle ne s'attendait pas à la réponse de ma mère: "Mon fils a décidé de vivre avec elle, c'est son avenir, ça ne regarde que lui". Mon frère avait préparé son mariage en emmenant sa fiancée faire les emplettes à Saigon: Commande de gâteaux, habits de cérémonie, bijoux, faire -part.... J'ai appris par ma mère plus tard que mon frère avait décidé de tout annuler à cause d'un désir farfelu de sa promise qui voulait rendre une dernière visite à son ex-amoureux, celui de Da Lat. L'ultimatum fut lancé: " C'est fini pour nous, si tu veux le revoir, à toi de choisir ". Un premier amour ne s'oublie pas facilement, c'est vrai. Une histoire inachevée peut nous empêcher de faire un autre pas dans la vie......Enfin, essayons de comprendre une situation difficile pour nos deux tourtereaux. La vie continue. Avant sa mort, ma mère m'a confié que ma camarade du CF est venue lui rendre visite à Orange County pour lui présenter ses excuses. Elle était consciente de l'amour de mon frère pour elle, mais à cause de sa fière personnalité (ayant reçu une éducation française, son amour-propre et sa propre confiance aidant ), elle n'avait pas voulu suivre les coutumes imposées par la société ou l'étiquette oblige. Chacun son choix et on doit assumer sa responsabilité. Ainsi va la vie. Lê Thị Lam Sơn |
© cfnt, Collège Français de Nha Trang