J’ai fait la connaissance de N. en suivant les cours de français rue Hoàng Tử Cảnh à Nha Trang. On s’est retrouvé plus tard au CF, toujours copines car on s’entendait comme cul et chemise et en plus, elle habitait en face de chez moi, rue Độc Lập. Comment vous la décrire? Et si je vous dis qu’elle était belle comme la Japonaise du calendrier, celui qu’on offrait en cadeau à l’époque, à l’occasion du Nouvel An. Beauté à part, elle était d’une douceur, cette fille et on rigolait bien ensemble, de tout et de n’importe quoi. A la fin des cours de français, on grimpait sur le toit de la maison du professeur en essayant d’atteindre les branches du tamarinier pour cueillir quelques fruits verts. Imaginez-vous, ces tamarins avec une sauce sucrée à base de sauce de poisson – nước mắm – sauce épaisse comme du sirop. Miam, miam…ça vous met l’eau à la bouche déjà, car le goût du tamarin trop tentant, n’est-ce pas? Nos pauvres dents qui n’en pouvaient plus à fortes doses de tamarins verts, elles grinçaient et on grimaçait… d’overdose! Ma copine les attiraient, les garçons. Ils tournaient sans arrêt - en motos - devant sa maison. Le soir, quand on allait se balader, du cinéma Tân Tân jusqu’à la rue Phan Bội Châu, immanquablement on était suivi par quelques gars. On dirait des espions qui vous suivaient à la trace. Délaissant leurs motos quelque part, ils étaient derrière nous comme des chiens de garde. Une fois, ils nous avaient emmenées faire un tour en motos voir le bord de mer. On pouvait même tomber nez à nez avec eux, à la Foire du Têt, car la ville était petite et il y avait moins de monde à l’époque. Mais on s’en lassait vite et on les avait laissés tomber comme s’il ne s’était rien passé entre nous. Vous comprenez maintenant pourquoi le père de ma copine ne la laissait jamais sortir seule. Je lui servais de chaperon, la futée! Et voilà comment elle allait voir son amoureux à l’insu de son pater. Ses rendez-vous se passaient avec la complicité d’une autre copine, MA, dans la villa de ses parents pas loin du cinéma Tân Quang. Personnellement je ne la connaissais pas, mais on se faisait des sourires, puisque copines d’une copine! MA nous recevait donc dans le salon en attendant l’arrivée du petit ami de N. On laissait le couple seul et je devais rester à me morfondre dans un coin, à guetter le moment du retour. Un jour, N. me confia tristement que son père lui interdisait de voir son petit ami. Comment l’avait-il su??? Sous la menace d’une union forcée avec un garçon choisi par la famille et cédant au sentiment très fort envers son copain, elle commençait à échafauder un plan: S’enfuir à Sai Gon avec lui, mais en partant séparément, chacun de son côté. Comme j’étais dans la confidence, l’idée d’un voyage m’emballa vivement et j’avais décidé d’en être de la partie. Le dernier jour avant notre départ, une autre copine de N. vint nous rejoindre à la villa de MA pour discuter d’un plan de secours en cas d’urgence. On avait pris le car pour aller à la capitale et le voyage était plutôt pénible, vu le monde entassé dans ce véhicule, on était serré comme dans une boîte de sardines! A notre arrivée, il faisait déjà sombre et comme je ne voulais pas aller à l’hôtel, j’avais proposé à N. l’adresse d’une ancienne élève du CF, chez D. donc, où on avait passé la nuit. Le lendemain, on devait aller chercher le petit ami de N. Mais au lieu de le voir, on tomba sur quelqu’un d’autre, sur la grande avenue, un ancien élève du CF, de la classe de 6è (Décidément, on avait de sacrés liens avec les jeunes du CF!). Il nous avait invité chez sa tante. Il ne nous restait plus que le temps d’aller récupérer nos sacs chez D. Notre séjour était écourté du fait que le père de notre fameuse D. était chef de policier de Saigon et que grâce à lui, nos parents nous avaient retrouvées aussitôt. Nous nous étions jetées dans la gueule du loup sans nous en douter. Comment ça s’est passé pour notre retour au bercail? Eh bien, N. en tant que fille unique et gâtée eut droit à un accueil plutôt satisfaisant, plus de mariage forcé, bien entendu. Quant à moi, une bonne leçon de morale m’attendait, soi-disant parce que je lisais trop de romans à quatre sous: ceux de Madame Tùng Long, vous savez son fameux article "Gỏ rối tỏ lòng"! Lê Thị Lam Sơn |
© cfnt, Collège Français de Nha Trang