Hôtel Nautique 1



En 1948 ayant quitté Dalat nous sommes arrivés à NHT en pleine nuit dans une ancienne villa sans charme avec la moins bonne plantation d'arbres sur ce terrain (en location) à cause des nombreux Acacias (Cây Gai).

Ma mère nous a enfermés dans une chambre jusqu'à l'heure du Goûter.

En préparant un panier pique-nique, elle nous avait bandé les yeux avant de nous guider vers la plage

en traversant la double voies du Bd de la plage.

Une fois arrivé sur place (où le sable n'était plus chaud) on pouvait enlever notre bandeau pour découvrir soudainement cette magnifique vivante étendue d'eau colorée dans cette belle baie aux iles de formes particulières : les Pyramides, l'ile de la Tortue,...

Merci Maman pour cet inoubliable bel effet de surprise, alors qu'on a connu que la tristesse des eaux grises des lacs de Hanoi et ceux de Dalat.

(Tout petit, j'avais déjà une excellente mémoire visuelle qui a étonné ma mère)


Ce premier Hôtel Nautique n'avait que 3 modestes chambres d'hôtes, insuffisantes pour faire vivre toute une famille même avec les clients du Bar + Restaurant le soir.

Rapide création d'une piste de dance en ciment où il fallait souvent répandre du Talc pour une bonne glisse des danseurs, au son de " La Voix de son Maitre " et des grands disques noirs 33Tours.

Des anciennes orphelines eurasiennes en relation avec ma mère, l'aidaient au service et avaient aussi le rôle d'entraineuse pour attirer la clientèle masculine française et se trouver un (bon) mari.


Pendant ce temps, pour vite prospérer, ma mère a ouvert un Salon de coiffure pour Dames, avant le milieu de la rue principale (Độc Lập) sur le trottoir opposé de la Pharmacie Tạ Ngọc Liên qui était au croisement de la rue qui va vers la sortie Nord de NHT en passant par le pont de Xóm Bóng et devant les belles Tours Cham de Po Nagar à Tháp Bà.

Magasin qu'elle a agencé en 2 parties, où :

– Elle frisait les cheveux des femmes vietnamiennes qui raffolaient de cette mode qui a perduré.

– Elle vendait des jouets de qualité (panoplies de déguisement, revolvers, coffrets dinette, boites de mécano, magnifiques poupées, etc)

En somme, c'était là que se ravitailler aussi les Pères Noel...

Première année à NHT et en classe à la charmante petite Ecole Française qui venait d'être inaugurée par les FAURE, un couple de Français avec Dominique leur fille unique qui habitaient dans une petite villa neuve, sur la même petite rue Nguyễn Thị Phương qui séparait l'Hôtel Nautique de la propriété des CHAMPAVERT en bordure de mer.

Notre voisin à droite, en direction de l'Hôtel Beau Rivage, était très discret (il travaillait à la Sureté)

Sa propriété également en face de la mer, avait beaucoup de grands Badamiers (Cây Bàng) et mon beau chat siamois (né sans queue) y allait souvent pour se battre avec celui de ce voisin invisible.

Mon autre petit cabot et cador, le typique Chien Jaune (Chó Cỏ) qu'on retrouve partout au VN.


A ce modeste Hôtel Nautique, avaient pris pension pendant plus d'un mois, Henri BOURDENS avec sa compagne Josée et la sexy Marcelle, une JF de 17 ans.

Contrairement aux Faure, ils allaient se baigner en mer dès l'aurore, s'attablaient pour le repas de midi avant de faire la sieste dans leur chambre commune où on leur apportait leur diner.

En évitant de se montrer, ils semblaient se cacher …

Henri Bourdens était un aviateur, en " free lance " pour Aigle Azur et autres missions que d'autres Pilotes de ligne ne voulaient pas effectuer vers les zones de combat.

Le fameux avion Dakota était déjà un véritable Air Bus, transportant passagers et frets entre toutes les villes de l'INDOCHINE, car il pouvait se poser presque partout.

Après sa sieste, entre 2 missions, en dessinant humoristiquement, Henri Bourdens tenait son passionnant " Journal de bord " que je découvrais par-dessus son épaule.

Très gentiment, il me laissait parfois terminer le coloriage à l'aquarelle de ses formidables dessins.

Aux points noirs = Trous sur les ailes de " son " Dakota, il m'a répondu que c'était les Viet Minh qui l'ont tiré dessus pendant ses bas parachutages pour les militaires français en patrouille dans la forêt.

Plus tard, je repensais à cette image lors d'une séquence du mémorable film de P. Schoendoerffer :
La 317e Section


J'ai donc eu la chance de connaitre ce sympathique aventurier, excellent marin de surcroît, qui aimait faire des croisières en mer pendant une longue période sabbatique.

J'avais 8 ans en 1949 quand, tristement, je l'ai vu presque s'enfuir précipitamment en mettant le cap sur les PHILIPPINES après avoir négocié et affrété une jonque avec l'aide de ma mère au village des pêcheurs vers l'estuaire de la rivière Cái.

Josée, une Française rescapée du LAOS était devenue sa compagne avec sa belle-fille Marcelle, une jolie Pin-Up de 17 ans qui faisait tourner la tête à tous les hommes, des militaires qui venaient à l'Hôtel Nautique les après-midi pour la courtiser pendant qu'elle gratouillait sa guitare en fredonnant l'air de " Zezebel ".

A la déception générale, ce fut un Légionnaire qui l'a conquise !

Sachant Marcelle " en sécurité " pour son avenir... le couple Bourdens (avec leur singe macaque en guise de vigie en haut du mât) a vogué en direction des PHILIPPINES, pendant la mauvaise saison des Typhons vers ces îles lointaines où ils ont fait naufrage chez les Coupeurs de Têtes … mais ils furent sauvés par une patrouille de la Marine locale.

Cela ne leur a pas " servi de leçon " car plus tard en 1966, ces deux aventuriers ont eu la même mésaventure (en pire) vers les eaux indonésiennes où miraculeusement la Marine Australienne les a repêché, dérivant sur un radeau de fortune où ils ne pouvaient pas dormir...

A lire leur odyssée directement à la seconde partie du livre : Croisière Cruelle

Connaissant Henri Bourdens, il n'y a aucune exagération dans ses récits.

J'aurai pu le revoir lorsque j'étais venu vivre à Nice, mais j'ignorais qu'il avait repris du service avec Aigle Azur sur la ligne Corse-Sud France, après avoir édité son premier livre : Camionneur des Nuées


En 2008, j'ai finalement retrouvé Henri Bourdens,
sous une dalle dans un petit cimetière du Var où en Décembre 1987 il s'est suicidé sur la tombe de sa femme.

Regrets & Remords en sont probablement les causes.

Quant à Marcelle, elle vit chichement dans cette même région, mais elle n'a pas voulu me rencontrer afin que je garde toujours dans ma mémoire, la belle JF que j'ai côtoyée à NhaTrang.

Ainsi va la Vie (et la Mort)



ChrisTian PHILIPONET
(le Anh Hai de L'Hôtel Nautique)



© cfnt, Collège Français de NhaTrang