Les livres d’antan
Deuxième Partie


A mon père, celui qui nous a transmis l’amour de la lecture et des livres


Je vais vous parler des vieux livres qui ont marqué mon enfance, ceux qui m’ont aidée dans l’apprentissage de la lecture, ceux qui m’ont enthousiasmée par la suite, soit par de magiques illustrations, soit par l’enchantement des mots…


Mais je ne vais pas oublier le rôle de mon père, celui qui, par sa passion des livres (bibliophile même), son admiration des poètes ou écrivains français dont il connaissait les textes par cœur, nous a guidés avec tant d’ardeur, de patience et d’amour à travers toutes ces années scolaires, depuis la maternelle jusqu’au collège.


C’est grâce à lui que Toto nous est venu en aide, pour le b a ba, ce Toto de la méthode de lecture sans larmes, en riant.


C’est aussi grâce à lui que, plus tard, le petit Edouard nous a fait découvrir son univers de lumière et de parfums: Au pays bleu.


Mon père allant sur ses 90 ans

et toujours passionné de Kim Vân Kiều


La lecture sans larmes : En riant de R. Jolly


Les petits personnages du livre, bien qu’illustrés de façon simpliste, étaient pourtant bien vivants et non moins amusants: Toto, Jo Jo, René, Titi le chat et Lili.





Pour égayer mes pages d’écriture, j’ai souvent demandé à mon père d’y recopier lui-même les dessins de la leçon du jour, en plaçant tout simplement la page du cahier sur le dessin du livre. Quelle joie enfantine!


En relisant aujourd’hui certaines pages du livre, j’ai été assez surprise de constater qu’on avait appris le passé composé du verbe « tuer », très tôt, en CP, à cet âge d’innocence même!


Et dire que c’était pour rire, d’où le titre « En riant » ! Une méthode sans larmes ! Sauf pour les âmes sensibles, n’est-ce pas ?


Voici René courant après un rat avec un bâton dans la main.


Devinez la suite ! « rené a tué le rat »! Brave jeunesse !


Et que voit-on là, sur cette page ? La mère de lili (pas de besoin de majuscule à lili, à ce niveau d’études) assise, tenant un coq dans la main, le chat titi à ses côtés.


Que s’est-il passé ensuite ? « la mère de lili a tué le coq - le coq a été tué - le coq a été vidé - il a été rôti - rené a eu une patte - lili a eu une patte - titi a dévoré la tête ». Fin de l’histoire.


J’ai bien rigolé car je ne pense pas qu’à l’époque actuelle, on pourrait parler de tuerie dans les manuels destinés aux élèves en cycle 2 (CP et CE1).


Mais c’était tout à fait normal alors, car moi-même, j’aurais bien raconté la même chose sur ma mère ! Seulement je ne me souviens plus, si j’avais eu la patte ou non, à table.


Mes grandes sœurs, elles, ne s’intéressaient généralement qu’à leurs études.


Quant à moi, j’aimais bien accompagner ma mère lors de ses courses au marché (où l’on trouvait toutes sortes de friandises) ou l’aider à faire la cuisine quand on n’avait plus de servante.


Et chaque fois qu’on avait prévu du poulet pour dîner, ma mère me confiait toujours la grande mission de tenir les deux pattes de la volaille. Il ne faut surtout pas les lâcher, sinon ce serait la catastrophe au moment crucial, l’égorger!


Avant d’accomplir le geste, d’une voix solennelle, ma mère récita : « Hóa kiếp mày, mày làm kiếp khác !». En la tuant, ma mère libéra pour ainsi dire la volaille de son présent karma, pour qu’elle puisse trouver mieux, dans sa prochaine vie !


Quand on était gosse, on entendait souvent dire que si vous aviez commis de gros péchés dans votre vie antérieure, vous risqueriez d’être ré-incarné sous la peau d’un animal. Surtout pas de péchés alors!


Seulement, il y avait un hic dans l’histoire !


Un beau matin, notre servante, qui devait avoir vingt ans tout au plus, est venue me chercher, toute blême. Elle m’a attirée jusqu'à la cuisine et m’a demandé de l’aider avec le poulet, tout ce qu’il y a de plus vivant, vous pouvez me croire.


Ma mère était, à ce moment-là, à Saigon, je ne sais plus pour quelle occasion.


Imaginez mon désarroi, une gamine de douze ans devant une telle responsabilité : car, sans mon intervention, tout le monde serait privé de dîner ce jour-là !


Serrant des dents, les yeux mi-ouverts et prenant mon courage à deux mains, j’ai envoyé la pauvre âme vers son nouveau destin, mais pas du premier coup, hélas !


C’était bien la première et la dernière fois depuis cet acte atroce, je vous le jure.


AU PAYS BLEU - Edouard JAUFFRET


Lointains souvenirs :


« Je songe souvent à un pays plein de lumière, à son joli ciel bleu, à ses collines parfumées de thym et de lavande.


Là fleurissent les lauriers-roses et mûrit la grenade saignante… »


A la lecture de ce roman pour enfants, (sans doute le plus beau livre de lecture) on ne peut s’empêcher de tomber sous le charme de ce bonhomme haut comme trois pommes, aux longs cheveux bouclés.


Et ce grâce au talent du dessinateur Ray-Lambert, car ses remarquables illustrations ont su faire ressortir cette fraîcheur, cette candeur des personnages pour toucher le cœur des lecteurs, petits ou grands, à travers le monde, celui de la francophonie, cela va sans dire.


Rien qu’en admirant la couverture signée par Ray-Lambert, on pourrait avoir déjà une petite idée de ce beau pays dont l’auteur parlait, à cause de cette clarté qui éclaboussait tout, inondant de lumière les alentours, tellement éblouissante !


De ce ciel si bleu !!!…Quelques arbres (Un pin parasol, des oliviers… typiques du paysage provençal) entourant une maisonnette au loin.


Au premier plan, deux enfants: L’un allongé dans l’herbe et l’autre, une petite fille, assise sur le tronc tordu d’un grand pin. Un chapeau de paille traînant au pied de l’autre arbre, tout aussi tordu. Couché non loin de là, un peu plus à l’ombre, un chien.


« Ce pays délicieux, c’est la Provence où je suis né »


Ah, la Provence dont on ne pouvait qu’imaginer, chacun à sa façon et l’aimer spontanément (ou non), de l’autre côté du globe.


Là où le temps est clément, car l’hiver y est doux comme un printemps et sous le gai soleil de janvier, se dorent les fruits (oranges et mandarines). Les mimosas, en floraison, par bouquets…


Des champs de lavande au parfum enivrant


     


Un pays qui fait rêver

Un beau ciel bleu … Des collines parfumées…


  

Oliveraie


Et l’auteur s’est décrit lui-même :


« Je me revois avec une figure gentille et rose, de longs cheveux bouclés et de grands yeux naïfs.



A cette époque, les tout petits garçons portaient une robe, comme les fillettes. J’en avais une rouge rayée de blanc, je me souviens…Mes gros souliers ne m’empêchaient pas de courir, ni de sauter, du matin au soir. Et, sous mon large chapeau de paille, je riais même du soleil d’août ».


Et sous ses yeux d’enfant :


« Tout me paraissait merveilleux ».


Naturellement, comme pour nous tous, à son âge, si facilement émerveillés par de simples choses.


Mais comment ne pas être enchanté par ce monde tout ruisselant de lumière ? Le petit Edouard dès son réveil, jouait déjà avec le soleil !


« Le soleil se glissait à travers les persiennes… Et moi, je jouais avec lui… » (Le réveil)


Comme quand sa mère chantait sur la terrasse :


« La chanson passe dans l’ombre, douce comme une caresse. Et moi, immobile, je voudrais que cet instant ne finisse jamais» (Les chansons de maman)


Ou à la page 14 :« le vent qui siffle dans les branches, la goutte de rosée qui tremble et luit.


…chaque jour, pour moi, était un jour de fête !


Plus les années passent, mieux je comprends le bonheur que j’avais alors à vivre. Et, bien que j’aie les cheveux gris, je retrouve mes joies de bambin quand je pense au jardinet où, les yeux ravis, je souriais à la lumière. ( Lointains souvenirs )


Comme toujours, chaque souvenir d’enfant nous attendrit, chatouillant nos sens, car tellement riche en couleurs et sons ; chaque page illustrée, nous entraînant vers de nouvelles aventures, toujours avec une note de douceur et de tendresse.


J’enviais tant Edouard, à cause de ce tout petit ruisseau qui traversait son jardin !


Et qui donc d’entre nous n’avait pas plus d’une fois dans notre jeunesse agi contrairement à ce que « maman a dit » ?


« Là, il faut bien prendre garde, car de méchantes bêtes sont cachées. C’est maman qui me l’a dit… Moi je remue les herbes, avec un bâton. Si « elles y étaient », je fuirais très vite !..» (Le petit ruisseau)


Et il ne faut surtout pas oublier la voisine d’Edouard, Louise, qui « était très grande … elle a cinq ans !» (Louise).


Quelle petit bonne femme, déjà si protectrice et affectueuse à la fois:


« Moi, je serais la maman, toi, tu serais mon petit garcon. Je ferais la soupe… » (Louise).


Et, un jour, ayant déniché dans son grenier Coco, « un reste de cheval rapetassé » qui avait « amusé » son grand frère pendant très longtemps:


« Puisque tu aimes tant jouer au cheval, en voici un. Je te le donne » (Coco)


Si mon père m’a aidée à commencer la lecture du livre « Au pays bleu », celui avec qui j’avais partagé les « Oh » et les « Ah » à chaque nouvelle aventure de notre héros en herbe, c’était plutôt mon grand-frère, de trois ans mon aîné.


La petite fille que j’étais en ce temps-là n’avait pas du tout aimé la fin du voyage!


Quoi ? … Trente ans après, le petit Edouard, devenu adulte, aurait perdu ses parents ???!!!


« Trente ans… Papa et maman ne sont plus » (Trente ans après).


Ah non ! Ce n’est pas possible ! Ai-je mal compris ? Peut-être que ses parents habitaient ailleurs, loin de lui, n’est-ce pas, grand-frère ?


Malheureusement non, il a confirmé mes craintes, les mots « ne sont plus» voulaient bien dire que les parents d’Edouard n’étaient plus de ce monde, hélas !


Ah, j’aurais bien voulu que le petit Edouard ne vieillisse jamais !!!

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La Seyne-sur-Mer : lieu de naissance du petit Edouard (1900)


Draguignan où il a vécu ses derniers jours


Né le 4 octobre 1900, Edouard Jauffret avait fréquenté l’école maternelle Jean Jaurès, à la Seyne-sur-Mer.


Sa maison natale du quartier Saint-Lambert avait abrité ses huit premières années.


Sur la route de Tamaris, à côté du ruisseau (en bleu), sa maison

(d’après les recherches effectuées par des fans du petit Edouard, d’où documents publiés sur le Net et repris ici)


Une vue de la “place de la Lune” en 1900.


La flèche rouge désigne "peut-être" la maison du 37 place Verlaque, aujourd’hui disparue, où avait déménagé le jeune Edouard Jauffret.


Ses parents habitaient successivement le Pont de Fabre et la place de La Lune (au 37, place Verlaque), face à la porte des F.C.M. (Forges et Chantiers de la Méditerranée) où son père était menuisier. Sa mère, une lavandière (« Maman est blanchisseuse. Elle lave le linge des Cayol… » ( En regardant maman laver ) )


 


La vie dure d’un ouvrier dans les années 1900 :


Cette vie vécue par le petit Edouard : « Je ne te vois pas assez, papa. Le soir, tu me mets au lit, tu m’embrasses et le matin, tu n’es pas là pour me raconter de jolies histoires, ni pour me porter sur ton dos, en marchant à quatre pattes.


Maintenant, nous allons déjeuner.Mais tout de suite après, tu partiras encore, pour ne revenir qu’à la nuit, au lieu de rester avec ton petit garçon…


Pourquoi ? » (Page 22 : Papa !)


Pour ces parents d’origine modeste, le salut de leurs enfants viendra par l’ascension sociale, grâce à l'école laïque et républicaine, en partie. Et le petit Edouard a accompli ce rêve par son entrée dans la fonction publique.


Etudes et carrière brillantes


Reçu au concours de l’ École normale de Draguignan, à 16 ans. Engagé quelques mois dans la Marine, à la fin de la guerre de 1914-1918, il a débuté son métier d’instituteur en 1919 dans le Var, à Gonfaron, puis à Tourtour. Affecté ensuite dans la région parisienne où il a poursuivi des études supérieures de philosophie à la Sorbonne. Inspecteur de l’Éducation Nationale, à 30 ans !


Fin de vie à Draguignan


Tombé gravement malade en 1934, à la suite d’une baignade imprudente dans les eaux glacées du Golo, en Corse. « A partir de 35 ans, il ne pouvait plus marcher, ni enseigner». Frappé par une tuberculose articulaire, il s’est installé alors à Draguignan, où il consacrera les dernières années de sa vie à l’écriture de romans scolaires.


« Au Pays bleu », dès sa sortie en 1941 a été utilisé en classes primaires jusqu'en 1978 : 37 ans de vie, un véritable succès pour un vieux manuel scolaire.


Du jamais vu !


L’écrivain est mort à 45 ans. Mais le petit Edouard, par contre, lui, vit toujours dans nos cœurs ! Car il était, non seulement, notre reflet au même âge, mais aussi notre inspiration au quotidien et, notre aspiration à une vie pleine de bonheur et de joies simples, profitant de tout, à chaque instant de notre vie.


Nguyễn thị Minh Yên / Gabrielle




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