Jean-Marie Berthier


Hier, jour de Pâques. Invités par des amis, Martine et Jean-Jacques, nous nous sommes rendus à Senouillac, au château de Mauriac, dans le Tarn, au milieu des vignes de Gaillac. Château restauré par le peintre Bernard Bistes et sa famille; les différentes pièces servent aussi d’expositions aux oeuvres du peintre, des nus - dont des nus de rugbymen -, des peintures florales sur fond blanc, des portraits, etc. Mais ce qui nous a séduit aussi, c’est l’ameublement provenant du Laos (des jarres, des poteries chinoises et bien d’autres apports) et surtout un superbe lit de bois sculpté et ajouré comme un moucharabieh.


J’appris auprès de la très charmante guide que les Bistes avait fait un séjour à Vientiane, au Laos, où le peintre s’occupait de l'Alliance française, dans les années 1970, au moment où moi-même j’enseignais la philosophie et les lettres au Collège Français de Nha-Trang, au Sud-Vietnam d’alors. Le nom et le prénom de Berthier, tapis dans un coin de ma mémoire, a resurgi tout à coup. Je me souvins qu’en 1971, un professeur nommé Jean-Marie Berthier et sa femme, étaient arrivés à Nha-Trang après avoir quitté Vientiane. Malika et moi, nous avions gardé leurs enfants dans leur villa; ils retournaient alors à Vientiane pour les vacances scolaires.


Madame Bistes, qui s’occupait de l’accueil des visiteurs, fut d’abord fort surprise par ma demande: connaissez-vous Jean-Marie Berthier? En effet, ce nom lui aussi émergeait de sa mémoire, mais elle avait un peu mal à se souvenir avec exactitude de ce couple d’enseignants, d’autant que les Bistes avaient rencontré d’autres Berthier, et en effet, ce patronyme est fort répandu en France.


Ce matin, j’ai effectué une recherche sur Internet et j’ai eu la surprise de découvrir, à travers les différentes biographies proposées, qu’un Jean-Marie Berthier avait bien séjourné à Vientiane, à Dalat et à Nha-Trang. Mais le plus curieux, c’est que ces biographies introduisent à une oeuvre poétique riche et variée, oeuvre qui nous était - au moins pour moi - inconnue (cf. la bibliographie ci-dessous).


Dommage qu’un accident de voiture, en août 2017, nous prive d’un lien que nous aurions pu renouer, mais c’est un morceau de puzzle supplémentaire dans le jardin de nos souvenirs.


Pour le site du Collège Français de Nha-Trang, la mention «perdu de vue» était accolée au nom de Jean-Marie Berthier et, hélas, cette perte de visibilité prend aujourd'hui un sens plus définitif.



Roland Egensperger

Baziège, le 2 avril 2018



Biographie de Jean-Marie Berthier


Jean-Marie Berthier est né à Marseille en 1940. Il choisit d’exercer son métier de professeur de lettres en nomade, de par le monde. Il a enseigné le français et la pédopsychologie sur les cinq continents : Dakar (Sénégal), Saïgon, Dalat, Nha-Trang (Sud-Viêt-Nam), Vientiane (Laos) et Montevideo (Uruguay) où, trop engagé dans la dénonciation des crimes de la junte militaire, il résilie en 1979 son contrat de lecteur à l’université pour prendre précipitamment la fuite. S’enchaînent alors des postes à Djibouti (République de Djibouti), Anjouan (République fédérale islamique des Comores), Aboisso (Côte d’Ivoire) et à Nouméa (Nouvelle Calédonie). Cette période est extrêmement riche pour lui. Des rencontres et des éblouissements dont son œuvre porte la marque, mais aussi douloureusement traversée par deux deuils intimes auquel le recueil Les Enfants de la douceur immobile (2014) donne plus spécialement voix et parole. Il a animé des ciné-clubs, des conférences, des causeries et débats autour de la poésie, des groupes de réflexion. Il a créé des bibliothèques mobiles (à l’étranger) et a été responsable d' « activités socio-culturelles » dans plusieurs établissements scolaires de l’étranger. Il a collaboré à de nombreuses revues et animé des ateliers d'écriture.


De retour en métropole il s’installe en Haute Savoie où il continue d’enseigner. L’animation d’ateliers d’écriture l’occupe beaucoup, « Jean-Marie Berthier fait du monde entier un vaste atelier d’écriture » (la formule est de J.-L. Maxence), ainsi que des responsabilités éditoriales : il dirige chez les éditions MLD la collection de poésie Hautes Herbes entre 2008 et 2012. Son œuvre, dont on trouvera une bibliographie complète sur le site de la revue (revuephoenix.com) est publiée chez plusieurs éditeurs dont Rougerie, Fanlac, MLD, L’Edelweiss, Le Nouvel Athanor, Le bruit des autres, et bientôt Bruno Doucey. Ses textes sont parus au sein de nombreuses revues et d’anthologies, et ont donné lieu à plusieurs enregistrements et lectures publiques. L’Académie française distingue en 2010 son recueil Attente très belle de mon attente (MLD éds. 2009) du prix François Coppée. Il résidait depuis peu à Malaucène, dans le Vaucluse, renouant ainsi avec la Provence de son enfance. Cet été, le 8 août 2017, il est décédé dans un accident de voiture aux portes de Bourg-Saint-Maurice. Il se rendait à La Tarentaise Hebdo, journal auquel il collaborait fidèlement, régulièrement et bénévolement depuis de nombreuses années.


Il n’écrit pas tout seul, mais avec les hommes de la Terre car il est persuadé que, quelque part dans le monde, des hommes ou des femmes participent à l’écriture de ses poèmes, à leur achèvement, par le regard même qu’ils porteront sur eux, ajoutant leurs images, leurs révoltes, leurs cris, leurs silences. Un sourire, la vie, la mort. Puisque le rôle du poète est d’ouvrir, et non pas de fermer…


Va-t-il bientôt parler autrement qu’en poèmes aux enfants qu’il eut de son amour avec Danielle, à ces enfants si tôt arrachés, Mireille, Jean-Philippe, ces chers « maladroits de l’éternité », à Anouk sur ce versant, dans « la belle alliance des jours et des nuits faits l’un pour l’autre » et à ses petits-enfants Matisse, Cloé et celui qui naîtra bientôt, car la vie elle aussi dit : « Ne te retourne plus » ? Il faut bien du courage pour vivre en oxymore.


Bibliographie


Une image un cri, Éditions Vithagna, Vientiane, Laos 1974.


La Traversée des pierres, Mortemart, France, Rougerie Éditions, 1991.


Les Arbres de passage, Périgueux, France, Éditions Fanlac, 1993.


D’étoiles et d’acacias, encres de Mechtilt, Périgueux, France, Éditions Fanlac, 1993.


La cinquième Saison, Rougerie, 1994.


Le Guetteur est aveugle, Mortemart, France, Rougerie Éditions, 1997.


Dans le jardin des dieux abattus, Périgueux, France, Éditions Fanlac, 2001.


Couleurs de l’Oise, Editions C.D.D.P. de l’Oise, 2002.


L’immense est fait de peu, CD, Marie-Christine Brambilla dit Jean-Marie Berthier, musique de François d’Aime, 2004.


Une oasis en hiver, Dix-huit poèmes sur dix-huit sculptures de Roukbi Marouf, Impr. L’Edelweiss, Bourg-Saint-Maurice, avec le soutien à l’édition du Legs Bernard, 2005.


Les Mots du jour et de la nuit, Bourg-Saint-Maurice, Impr. l’Edelweiss, 2007.


Les Arbres de passage et autres poèmes, Editions Fanlac, 2007.


La jeune fille et le chevalier, livre-poème et CD, MLD 2009.


Attente très belle de mon attente, Saint-Brieuc, France, Éditions MLD, 2009 – Prix François Coppée de l’Académie française 2010.


Ascension, éds. MLD, 2010.


Une pierre dans un champ de lin bleu : carnets de voyage, Bourg-Saint-Maurice, Impr. l’Edelweiss, 2010.


Je m’approcherai de la neige, livre d’artiste, poèmes de Jean-Marie Berthier, et compositions calli-typographiques de Patrick Cutté, éds. L’atelier de l’Entredeux, 2010.


Jean-Marie Berthier : portrait, bibliographie, anthologie, Paris, Éditions Le Nouvel Athanor, coll. « Poètes trop effacés », 2011.


Pourtant si beaux, encres de Florian Marco, Limoges, France, Éditions Le bruit des autres, 2013.


Les enfants de la douceur immobile, avec Danielle Berthier, Éditions Le bruit des autres, 2014.


Ne te retourne plus, Bruno Doucey Éds., à paraître septembre 2017.


Extraits :


«Vivre hors de France pendant un quart de siècle (j'ai enseigné pendant tout ce temps la langue française) pose la question de l'adaptation à des modes de culture différents, pose aussi la question de l'échange, au croisement de ces mêmes cultures (…) Cependant, que ce soit parmi les populations proto-indochinoises du Viêt-Nam ou sur les pistes du Laos, sur les boulevards ou dans les maisons de Montevideo, en pays Agni, en Côte d'Ivoire, ou encore à Djibouti, dans la palmeraie d'une oasis, je n'ai jamais senti battre qu'un seul cœur, à l'unisson de tous les cœurs du monde, et donc à l'unisson du mien... le cœur de l'homme, le cœur de tous les hommes».(Entretien : J-M-B à Emmanuel Dall'Aglio)


Oserais-je lui dire un jour qu'il est un peu mon paratonnerre contre les imposteurs du renoncement ? (Jean-Luc Maxence)


Lorsqu'en 2000, j'ai rencontré, par un hasard parisien, Jean-Marie Berthier dans un taxi et, qu'entre Montparnasse et la Gare de Lyon, nous avons eu le temps de parler poésie, il m'a dit être poète en m'offrant un de ses poèmes, je ne pensais pas qu'une belle amitié de mots et de cœur avait alors commencé. (Jany Cotteron)


Adaptation de son texte « Clair de corps », extrait du recueil Attente très belle de mon attente, paru chez MLD en 2009.




© cfnt, Collège Français de Nha Trang