Mes 2 amours



Mes 2 amours Nha Trang & Phan Rang


Deux villes-plages mais deux visages différents, comme le jour et la nuit, pas très loin l’une de l’autre.


Toute mon enfance tranquille au bord du fleuve Dinh, ma maison séparée de ses eaux grâce à la longue digue, une digue qui semblait ne prendre fin qu’à l’infini…


Devant mes yeux d’enfant s’étendait une immense plaine de maïs. Partout, que de savoureux épis de maïs et le vent s’amusait à leur chuchoter ses secrets en permanence.


Un pays de soleil, de vent et de sable, semant la conjonctivite à cœur joie…


Après les crues, dans les champs, rien que de la boue et des poissons en détresse, se débattant en vain, faisant le bonheur des gamins pauvres vivant aux alentours du fleuve: Une occasion de se livrer à leurs jeux préférés, de joyeux ébats dans des flaques d’eau - profitant de ce cadeau de Dame Nature, collecte de ces malheureux poissons pris dans cette traîtresse de vase …


Domaine élu des serpents, témoin de leurs mues ( vu un lieu discret, sauf rares visites de gosses téméraires et inconscients, comme moi…) un blockhaus en ciment béton veillait du haut de la digue.


De temps à autre, dans mes escapades, je croisais quelques petits troupeaux de chèvres, à peine une dizaine de bêtes, m’intriguant fort par leur existence, n’ayant jamais goûté à leur chair. J’ignorais tout simplement que c’était un des plats favoris du peuple minoritaire Chăm ici.


Si Nha Trang possède le fameux Temple de Po Nagar, Phan Rang est fier de Pôklong Giarai, le temple construit par le roi lui-même, en haut d’une colline, haut-lieu de culte des anciens rois du royaume Champa.


Il y a fort longtemps, au moins un demi-siècle passé, les enfants aimaient jouer au cerf-volant, à la plage de Nha Trang, les jours de grand vent.


A Phan Rang, le vent et le ciel, plutôt insupportables, plus sec l’air, plus ardente la chaleur! Un pays à faire fuir Icare.


Toute l’année, le vent de Phan Rang vous envoie du sable, de la poussière dans l’œil. A Phan Rang, on joue aussi au cerf-volant, mais il s’agit là plutôt d’un rite populaire, de la branche « Yang In », chaque année, suivant le calendrier Champa, un samedi du mois de Novembre, dans le but de prier les divinités afin de protéger leurs proches: santé, bonheur…, double chance aux récoltes…


Pour fabriquer le cerf-volant, on doit suivre des règles, à cause des traditions qui veulent représenter les deux sexes. 


Le cerf-volant masculin a la forme d’un losange, avec deux poches rondes, représentant l’Homme. Il mesure 1,5m de long, 1,4m de large, et côté ailes, 0,6m. Une flûte installée sur 2 étages et pour finir, 3 queues longues de 5m. Sur la face de devant, on y colle un papier rouge. De l'autre côté, un papier où sont inscrits, en caractères anciens, la date de la présente cérémonie et la légende de Pô Yang In.


Plus petit, le cerf-volant féminin, un tiers de l’autre seulement, dépourvu de poches, aucun papier collé dessus, muni d'une flûte à unique étage.


Le son de la flûte émis par le souffle du vent résonne clair, comme sous la bénédiction des dieux. Les gens passent donc la journée avec leur cerf-volant et le soir, une fois rentrés, ils décollent le papier et rangent l’objet en attendant l’année suivante.


La plage de Nha Trang s’étale à quelques pas de la ville: Dans le passé, le long de l’avenue de la plage, s’éparpillaient des villas de l’époque coloniale. Des flamboyants encore là pour rougeoyer toute une rue ou un coin de ciel, accompagnés en été par l’orchestre de cigales fin prêt à accueillir les estivants.


… Une brise légère à faire frémir la rangée de cocotiers sur le sable: Les branches s’agitent, les après-midis, comme pour entraîner dans un songe d’été, les inconnus allongés dans l'ombre - celle des pins taillés avec art, épousant la forme de parasols. Quelques gargotes sur la plage guettent les rendez-vous amoureux.


Phan Rang a sa plage à quelques kilomètres de la ville, appelée « Ninh Chữ ».


En ce temps-là, elle était encore à l’état sauvage. Un paysage d’eau et de dunes. Aucun crabe Scopimera en vue, ces infatigables créatures qui s’affairaient sans cesse sur le sable fin de Nha Trang, à la recherche de la nourriture, engendrant une multitude de boulettes de sable! Ici on risque de tomber nez à nez avec le lézard des sables. Timide, à l’approche de l’homme, il prend la fuite et regagne vite fait son trou dans la terre.


A l’aube, il tente une petite sortie jusqu’aux dunes, en quête de rares jeunes pousses ou de baies sauvages encore humides de rosée. Sa chair est ferme, parfumée et goûteuse, un fortifiant d’après la croyance populaire. Une viande qui vous fait penser à du poulet, encore plus sucrée et plus tendre. Avec des os comme du cartilage. D’après les experts culinaires, le meilleur dans le lézard, c’est sa bile et ses œufs. La bile du lézard a un goût riche, sucré. Ses oeufs considérés comme un mets des plus raffinés …


Les fleurs des dunes manquent de beauté, de grâce et de parfum! Quand on les cueille, elles suintent, dégageant une odeur désagréable! Des cactus, ces visages connus des déserts, y poussent avec bonheur, nourris de rosée grâce aux épines.


Autant Nha Trang offre un visage souriant et doux, autant Phan Rang apparaît comme un trou perdu, modeste par sa petite taille, mais dure et difficile comme contrée. Les paysans y mènent une vie moins prospère: A cause du manque d’eau, les terres arides, la famine toujours à l’affût.


Pour ces pauvres campagnards, poussés par la faim, plutôt que n’avoir rien à se mettre sous la dent, pourquoi ne pas essayer un reptile??? Et c’est ainsi que le lézard figure désormais dans le menu local et devient une spécialité de Ninh Thuận.


Puisque le bœuf a ses 7 plats, le lézard aussi réclame les siens: Bouillon de Lézard, Lézard grillé au piment et au parfum de citronnelle, Lézard aux feuilles de tamarinier, Sauté de Lézard, Lézards à la sauvage – en brochettes, cuits au feu de paille…De sorte que peu à peu, le lézard est appelé à disparaître.


De nos jours, afin d'échapper à la misère, le paysan achète le lézard pour la reproduction - En élevage, dans un enclos arrangé comme une dune de sable, où le lézard à l’aise, creuse son trou, se laisse nourrir et pond des œufs… - dans l’espoir de faire, plus tard, le bonheur des palais de fins gourmets.


Cet univers de soleil et de vent a donné un goût spécial - dû à la mer – aux calmars (*) d’un soleil (mis à sécher une fois au soleil), plus savoureux, parfumé, sucré et tendre.


Les calmars séchés d’un soleil: On ne prend que les calmars de grande taille, fraîchement débarqués d’une pêche en mer, pour les faire sécher une journée, le temps d’un soleil. Après, on enlève la peau, laissant un corps tout blanc, à conserver au congélateur. Il suffit de les faire griller au moment de consommer.


Le meilleur calmar à faire sécher juste un soleil: le calmar récifal à grandes nageoires.


L’opération de séchage demande beaucoup de savoir-faire - presque un exploit, car le calmar doit être complètement sec de l’extérieur, tout en conservant sa fraîcheur à l'intérieur. Comme ça, jusqu’au moment de la cuisson, le calmar garde encore ses qualités ( belle couleur, bonne odeur, souplesse en élasticité… )


Et voilà que les calmars me ramènent vers le passé, aux années 60, à ces soirs où je me promenais le long de la plage, là où attendaient des marchands ambulants: Alléchants feux de charbon à l’odeur des calmars, grillés dans de joyeux grésillements… passés ensuite dans un appareil manuel grinçant qui va les écraser, les aplatir jusqu’à étirement, larges et minces comme une feuille…Craquants à souhait… Quelques traits rouges de sauce de piment fort dessus, pour le plaisir des yeux… Déchirer morceau par morceau, mâcher lentement pour apprécier le goût exquis du calmar, l’enfant chéri de l’Océan.


On ne voit plus de marchands ambulants au Viet Nam, comme avant. Pour manger du calmar, on doit aller au restaurant. A Nha Trang, un restaurant très connu sert le calmar de façon simple, cuit à la vapeur, absolument frais et délicieux.


Des calmars, tel le Loligo vulgaris, une dizaine de variétés de seiches dont le Sepiella latimanus, pêchés en quantité à Khánh Hòa…La seiche possède un flotteur interne, l’os de seiche ou "sépion" qu'il ne faut pas jeter, car recherché par des fabricants de levure, à l'usage de l'alcool.


Plus petits, les supions abondent dans la zone de pêche du Centre du Viet Nam. A peine plus grands qu'un doigt, ils sont sucrés, tendres, c'est vraiment idéal pour faire une fondue!


( A suivre )


(*) Calmar = Les populations méridionales et provençales françaises ont tendance à conserver la lettre « a » après le « l » (calamar) d'une manière analogue à l'espagnol (calamar) et à l'italien (calamaro).


Nguyễn Thị Minh Châu



© cfnt, Collège Français de Nha Trang