« Ice cream, ice cream,
pleazzzzzzzzzz »


A l’arrivée des Américains à Nha Trang, la vie a changé du tout au tout pour les habitants, qu’on le veuille ou non.


Côté plage, ils ont choisi le meilleur endroit pour établir leur base. Un club s’est installé au nom de « Neptune NCO Club », de même un USO (*) (United Service Organizations) ouvert côté rue Độc Lập, pas loin de chez moi et je me souviens du cinéma Tân Tiến se trouvant quelque part par là.


Devant le bâtiment USO, à côté de l’entrée, un poste de garde protégé par des sacs de sable, surmonté d’un petit toit en tôle, on y voyait en permanence un militaire en uniforme et armé. Il y avait un va et vient continu des GI et du personnel local à l’heure de la sortie des bureaux. C’était un lieu interdit au public vietnamien.


Tôt le matin ou à des heures précises, quelques groupes de GI attendaient l’autobus qui devait les ramener à leurs camps.


Le soir, le coin s’animait comme point de ralliement des femmes de mœurs légères, des Marie Fontaine ou Marie Sến qui se tortillaient d'une drôle de façon, espérant attirer quelques clients parmi les GI. Elles portaient des cheveux crêpés « đánh rối », à la Brigitte Bardot, le sex-symbol de l’époque. Leurs visages peinturlurés, leurs corps moulés dans des habits baroques, un véritable attirail pour plaire aux hommes.


On faisait des allers-retours, ma petite voisine et moi, attirées par ce groupe de belles-de-nuit jusqu’au jour où mon père, en rentrant du travail, avait surpris notre petit manège et m’avait attrapée par le cou pour me faire rentrer dare dare à la maison.


En passant devant l’USO, il m’arrivait souvent de voir un GI en train de grignoter un sandwich. Alors j’ai conclu que c’était un centre de loisirs pour les Américains où ils pouvaient trouver tous les services. Apprécier leur propre cuisine plutôt que des bols de « phở », car à l’époque, c’était rare de voir un GI commander un « phở ».


Le personnel indigène travaillant au mess militaire devait respecter leurs consignes d’hygiène pour éviter tout microbe! Les Américains ont une sainte horreur de ces infiniment petits êtres!


J’aime beaucoup la glace. En ce temps-là, c’était tout ce qu’il y a de plus simple en glace, des formes rectangulaires avec des bâtonnets. Quant aux parfums, il y avait des graines de soja, du coco, du durian…et la glace faite d’un mélange de sirop de sucre et de jus de fruits de saison.


Plus tard, j’avais le grand bonheur de trouver un glacier ambulant, Mr Xuong un Chinois qui avait élu le lycée Võ Tánh comme point de chute pour son triporteur. Ses glaces, de délicieuses boules de vanille arrosées d'un soupçon de lait concentré sucré, parsemées de miettes de cacahuètes, humm humm…Et ma glace favorite, en plus!


Un jour, une cliente fidèle de ma mère passa à la boutique, accompagné de son petit ami GI, au nom de Bob. Sans mot dire, il s’en alla et à son retour- quelle merveilleuse surprise- des pots de glace à emporter qu’il avait pris pour sa copine, ma mère et moi!


De l’ice-cream à l’Américaine, du pur bonheur!


Wow, une découverte pour moi, car la glace était plus épaisse, crémeuse à souhait, d'un blanc cassé, présentée sous forme de spirales. De la vraie crème de vanille au lieu du sorbet dont j’étais habituée jusque-là. Une coupe bien vite terminée, mais la saveur qui vous restait encore dans la bouche, c’était trop génial!


J’avais beau espéré le retour de cette cliente et de son boy-friend mais peine perdue, ils avaient carrément disparu.


Plus de pots, adieu Perrette, adieu lait, vache…et glace!


Me vint alors une idée: « Et si je m’en vais me trouver de la glace à USO? ».


Piquant un billet de cinq dollars « rouge » dans le tiroir-caisse de ma mère, munie d’un grand bol (!), me voilà devant l’entrée de l’USO. Des Américains passaient, sans me voir, les vilains! Je devais prendre mon courage à deux mains (sans lâcher mon bol, bien sûr), poussée par mon péché mignon - Ô que le petit Jésus pardonne ma gourmandise! – et je m’approchai d’un GI qui me sourit. Ce malchanceux qui devait tomber sur moi et je m’agrippai à son bras tout en réclamant « Ice cream, ice cream… » et que voici, que voilà, mon bol tendu vers lui, suivi du précieux billet de cinq dollars.


Le gentil soldat avait compris, il fit oui de la tête « OK ». Quelques minutes plus tard, il réapparut avec mon bol rempli d’ice-cream d’USO!


Mes yeux brillèrent de joie au comble du bonheur de voir mon « péché capital » enfin commis, je filai comme une flèche jusqu’à chez moi. Et là, avec ma sœur, on se régala en pensant qu’on était les plus chanceuses du monde!


C’était ainsi que, tout billet de cinq dollars entré dans le tiroir-caisse de ma mère fut tout aussi vite sorti et dépensé sur-le-champ grâce à la complaisance d’un GI quelconque.


Malheureusement pour moi, les billets de cinq dollars n’arrivaient pas souvent dans la caisse de ma mère. Les GI dépensaient en général avec des coupures de vingt. Je ne pouvais pas me permettre de refiler à quelqu’un un gros billet juste pour un bol de glace et si je tombais sur un GI malhonnête qui ne voulait pas me rendre ma monnaie… Que faire alors???


Obsédée par les billets de cinq dollars, j’avais oublié notre monnaie locale, un billet de cinq piastres aurait pu faire l’affaire, ça m’aurait coûté moins chère la glace à ce taux là!


A cette époque, les magouilleurs et les trafiquants avaient l’habitude d’attendre devant le PX –Post Exchange où étaient vendus - hors taxes des produits tels que: vêtements, disques, électroménager, équipement sportif, parfums…en vue d’échanges avec les GI afin d’approvisionner le marché noir « chợ trời ».


Sans avoir le sens du commerce ni avoir la tête d’une business-woman, j’avais réussi mes négociations en ce qui concerne ma consommation personnelle d’ice-cream chez USO.


Et quelque temps plus tard, USO avait fermé boutique.


Parmi les vieilles photos de Nha Trang trouvées sur Internet, mon USO rue Độc Lập y figurait.


Je voulais fouiller dans ma mémoire en essayant de me rappeler les noms des magasins aux alentours, jadis bien connus.


Mon cœur serré de tristesse, à cause des souvenirs, pas pour mon ice-cream USO, car maintenant, c’est facile d’en trouver partout!


Chez Mac Do, vous vous rendez compte! Franchement, je ne vais plus commettre de péché capital, c’est promis, juré!!!

  

(*) L’USO est une société privée et une association à but non lucratif qui fournit des services de loisirs et de soutien moral aux membres de l’armée américaine avec des programmes dans plus de 135 centres répartis dans le monde entier. Depuis 1941, elle a travaillé en partenariat avec le département de la Défense des États-Unis (DOD) et a fourni du soutien et du divertissement aux forces armées américaines grâce à des contributions essentiellement privées ainsi que des fonds, des biens et des services venant du département de la Défense des États-Unis. Ce n’est pas une agence gouvernementale.


Lê Thị Lam Sơn




© cfnt, Collège Français de Nha Trang